Le stockage énergétique
Heather Clancy
On s’en sert ou on le perd. Peu de produits dans le monde ont une durée de conservation aussi brève que l’électricité. Voilà pourquoi la plupart des acteurs impliqués dans le secteur de l’énergie – depuis les compagnies d’électricité aux organismes de réglementation en passant par les acheteurs et les entreprises en démarrage – cherchent par tous les moyens à en étendre l’utilisation dans le temps.
Cela alimente une flambée de nouveaux projets et d’investissements autour de l’avancement de la chimie des batteries et des alternatives de stockage telles que les cellules à hydrogène ou des solutions thermiques employant la glace ou l’eau chaude pour conserver l’énergie. Le saint Graal sera ultimement la création d’un réseau de ressources pouvant être utilisées de concert avec les fermes solaires ou éoliennes. Le but étant d’équilibrer le rendement intermittent de ces ressources, aider à prédire leur production et faciliter l’intégration au réseau de distribution de centrales de production disséminées géographiquement.
Cependant, le stockage énergétique promet aussi de tangibles bénéfices à court terme, spécifiquement dans le cas d’applications aidant entreprises et producteurs d’énergie à gérer la réponse à la demande lors des périodes de pointe quand le stress causé au réseau de distribution menacerait la continuité des opérations.
Cette puissante combinaison pourrait inciter le déploiement d’une capacité de stockage mondiale de 125 gigawatts d’ici 2030 selon certaines projections, soit un investissement de 103 milliards $. Yayoi Sekine, analyste des finances des nouvelles énergies chez Bloomberg fait remarquer : « Cette industrie débute à peine. Avec autant d’investissements dans les technologies des accumulateurs, la baisse des prix de revient et l’ajout substantiel de capacités de production du solaire et de l’éolien dans tous les marchés, le stockage énergétique jouera un rôle crucial dans la transformation de tout le secteur de l’énergie. »
Nul besoin de se poser en défenseur des énergies propres pour apprécier le retour sur l’investissement. Même le secrétaire du Département de l’Énergie américain, Rick Perry, en reconnaît le potentiel. Et un nombre stupéfiant de fournisseurs d’équipements introduisent des systèmes de stockage, même une grande compagnie de génératrices au gaz et au diesel comme Caterpillar ou des entrepreneurs militaires comme Lockheed Martin.
À la fin de 2017, au moins 1 700 nouvelles installations étaient en cours dans le monde, une hausse de plus de 300% en seulement 6 mois. On y retrouve des projets à l’échelle de tout un service public comme la centrale de 30 mégawatts construite par la San Diego Gas & Electric, déclarée la plus importante ferme de batteries au lithium-ion au monde jusqu’à la fin de 2017 lorsque la compagnie Tesla d’Elon Musk lui a ravi le titre avec son projet d’une installation semblable de 100 mégawatts conçue pour suppléer à l’apport de la production éolienne pour le réseau de distribution de l’Australie. Le Glacier Battery Storage Project à Washington est un autre exemple plus modeste avec son système de secours de 2 mégawatts pour une sous-station de la Puget Sound Energy.
D’autres projets à portée plus commerciale sont conçus pour le compte d’installations industrielles ou d’édifices à bureaux. Ainsi, Hawaiian Electric utilisera au profit des marchés d’alimentation Albertson et Whole Foods un parc de dispositifs de stockage de Stem, une compagnie alliant le stockage énergétique et l’intelligence artificielle. Cette technologie propriétaire facilite la gestion des pics de demande, pour un client spécifique et non pour l’ensemble du réseau lui-même.
Aux États-Unis, qui compteront pour environ le quart de la croissance de cette nouvelle industrie pour les 13 prochaines années, les mesures incitatives instaurées par les états se sont multipliées en 2017, et ce, malgré le modeste et toujours décroissant support financier du gouvernement fédéral. Une poignée d’états ont défini des cibles de nouvelles installations de stockage et plus de 20 autres états ont des projets en développement d’une ampleur de 20 mégawatts, avec ou sans réglementation officiellement décrétée. La Californie les précédait tous avec son programme adopté en 2010. Avec un mandat à l’origine de 1,3 gigawatt dès 2020, les législateurs lui ont adjoint en 2016 une obligation d’installer 500 mégawatts supplémentaires en capacité de stockage propriétaire. Une autre politique californienne adoptée en 2017, potentiellement plus perturbatrice, prévoit l’obligation de stockage énergétique pour toutes les centrales au gaz naturel du réseau de l’état.
On constate aussi une appréciable activité dans le nord-est des États-Unis, là où les pannes liées aux événements extrêmes du climat sont plus fréquentes et où plusieurs centrales nucléaires et au charbon atteignent leur fin de vie utile ou feront face à une recertification encore non définie. Le Massachusetts a décrété assez de stockage pour fournir 200 mégawatts-heures d’énergie. L’état de New York finalise ses cibles pour soutenir son industrie éolienne naissante, mais ambitionne également devenir un fleuron de la capacité manufacturière du secteur du stockage avec l’inauguration en 2019 d’une « giga-usine » de batteries au lithium-ion.
Actuellement, beaucoup assimilent le stockage énergétique avec le progrès des batteries. Par exemple, la batterie équipant le nouveau camion semi-remorque annoncé par Tesla fournira une plus grande charge à un coût moindre que quiconque aurait prédit. Des millions de dollars inondent les entreprises en démarrage du secteur : au premier semestre de 2016, $ 480 millions furent investis dans des compagnies explorant les avancées des technologies du lithium, les innovations pour les piles zinc-air et autres percées des sciences des flux employant diverses combinaisons électrochimiques. Les systèmes mis à l’essai s’appliquent autant aux véhicules électriques qu’aux systèmes de stockage fixes alimentant un édifice ou un réseau de distribution local. Le miniréseau de Pena Station à Denver, par exemple, qui soutient son réseau d’alimentation solaire avec un système de stockage de 1 mégawatt.
Une analyse menée par Lux Research suggère que la technologie du lithium-ion demeure la plus rentable pour les installations d’une capacité de 75 à 100 mégawatts dotées de durée de réserve allant de 15 minutes à 8 heures. Les coûts de financement de ces technologies pourraient chuter plus rapidement que prévu, soit autant que 36% dans les 5 prochaines années selon une recherche de la firme de placement Lazard. McKinsey a estimé que les coûts des installations de stockage fixes atteindraient 200$ par kilowatt-heure en 2020 ( la moitié moins qu’en 2015 ) et même 160$/kWk en 2025,
D’autres approchent méritent aussi l’attention, dont plusieurs existent déjà depuis des années. Ce qui distingue le plus ces différentes méthodes reste la vitesse d’accumulation et de restitution de l’énergie.
Les condensateurs et les volants d’inertie, par exemple, sont pertinents lorsqu’on a besoin rapidement d’électricité et qu’on ne dispose pas d’autre source de carburant. On utilise couramment les premiers pour permettre aux autobus hybrides de démarrer plus rapidement après un freinage ou pour l’ajustement des pales des turbines éoliennes. Les deuxièmes transforment la puissance en énergie cinétique, comme lors d’un freinage par récupération, pour la restituer en variant leur vitesse de rotation quand un soubresaut de puissance affecte un réseau.
Pour un stockage d’ampleur convenant à tout un réseau de distribution, certains producteurs d’électricité se fient depuis des dizaines d’années sur les principes de l’hydroélectricité en accumulant des réserves dans des réservoirs de niveaux différents. Lorsque la demande en électricité est faible, l’eau est pompée dans un réservoir de réserve supérieur et lorsque la demande s’intensifie, elle est relâchée dans des turbines pour augmenter la génération. Une des plus importantes installations de ce type au monde appartient à la Dominion Energy de Virginie : elle peut produire jusqu’à 3 000 mégawatts lorsque l’eau accumulée traverse 6 turbines.
Quand il s’agit d’installations commerciales, les technologies de stockage thermique retiennent l’attention, car elles participent à réduire les coûts de chauffage et de climatisation des édifices. Un des leaders dans ce domaine, CALMAC, se sert de réservoirs de glace pour suppléer à l’électricité afin de chauffer, climatiser ou ventiler un bâtiment. La compagnie, qui a vendu plus de 4 000 ses systèmes à des compagnies comme Goldman Sach, Google,Walmart et McDonald’s, a été acquise à la fin de 2016 par Ingersoll Rand, le géant du CVC.
N’oublions pas non plus le potentiel de capacité de réserve des véhicules électriques. Des manufacturiers automobiles renommés incluant Tesla et Mercedes-Benz travaillent à mettre au point des circuits de pilotage entre véhicules et le réseau. Plusieurs fournisseurs d’électricité croient que des VE reliés au réseau pourraient constituer une importante source d’électricité de réserve lors des demandes de pointe dans les villes. Ainsi, l’Italienne ENEL teste des logiciels de gestion de l’énergie de ses réseaux de bornes de chargement pour ce type d’application.
Il n’y a pas à douter que la demande en batteries lithium-ion pour les VE et les systèmes de stockage fixes pourrait surpasser les ventes de piles pour l’électronique grand public d’ici la fin de l’année. Le prochain défi pourrait s’avérer de pouvoir en produire assez rapidement pour répondre à la demande.
Heather Clancy est directrice de la rédaction chez GreenBiz Group. Traduit par LME et publié avec la permission de Trucost et GreenBiz.com. Pour télécharger le rapport en anglais, cliquez sur le lien suivant : https://www.greenbiz.com/report/state-green-business-report-2018