N’attendez pas une solution miracle venue d’ailleurs
Keith Sones
C’était écrit sur les murs. Les fermetures étaient imminentes. Cependant, plusieurs personnes étaient contrariées, et j’étais l’une d’entre elles.
Au début des années 2000, ma famille et moi vivions dans une vallée plutôt rurale (du moins selon les critères des citadins) située au centre-sud de la Colombie-Britannique. La région de West Kootenay est bien connue pour ses activités récréatives extérieures et comme un endroit idéal pour élever une famille. Elle a une longue histoire industrielle, comme en témoignent la vieille usine de pâte à papier, l’énorme fonderie de plomb et de zinc située à quelques kilomètres de là et plusieurs barrages hydroélectriques, tous situés à proximité du puissant fleuve Columbia. Des générations de familles ont travaillé dans ces établissements au cours des dernières décennies, en rendant hommage à la fois aux entreprises qui leur ont procuré un chèque de paie et aux syndicats qui se sont battus pour améliorer leur sort.
Les traditions étaient importantes. Ce fut donc une véritable onde de choc lorsque le gouvernement provincial de l’époque annonça la fermeture de plusieurs écoles de la région. Pas seulement une ou deux, mais près de la moitié des établissements scolaires locaux seraient fermés l’année suivante. Parent de deux jeunes enfants, je me suis joint au mouvement de mécontentement, discutant avec des personnes du même avis que moi, tant sur le terrain de jeu que dans les cafés, dénonçant la nature injuste du couperet qui était sur le point de tomber. « Ce n’est pas juste! », clamions-nous à qui voulait bien l’entendre. « Ils ne feraient pas ça en ville! C’est toujours ceux qui ont construit ce pays qui sont le plus durement touchés! » Le refrain était retentissant et soutenu, ce qui a donné lieu à des mois de lettres aux éditeurs locaux et de débats radiophoniques. Bien des gens étaient fâchés.
Je me suis rendu compte au bout d’un moment, bien avant que d’autres ne tirent la même conclusion, que tout cela allait se faire en dépit des protestations. Les politiciens et les bureaucrates, à des centaines de kilomètres de là, avaient de toute évidence analysé les données indiquant que le nombre d’enfants scolarisés était en baisse et que plusieurs bâtiments étaient dans un état de délabrement avancé. Froids et impartiaux, ils avaient pris leur décision. Les fermer. Ils ne se sont pas préoccupés du fait que ces bâtiments et ces terrains de jeux étaient ceux-là mêmes où les parents et les grands-parents des enfants d’aujourd’hui avaient étudié et joué. Des institutions bien-aimées qui étaient soutenues par la forte croyance locale en matière de valeur des traditions. Au lieu de cela, il s’agissait de montants en dollars sur une feuille de calcul. Les fermer. Signer l’ordonnance. Affaire classée.
Je suis un optimiste. Cela ne veut pas dire que je vois toujours le monde avec des lunettes roses, bien au contraire. J’ai tendance à le voir sous la lumière crue du jour, l’éclat de la réalité me frappant de plein fouet. Je déteste beaucoup de choses, mais aussi découragé que je puisse être face à une situation donnée, comme voir l’école de mon enfant passer sous le boulet de démolition, je finis toujours par remonter la pente et composer avec la réalité à laquelle je suis confronté et pas nécessairement celle que je souhaiterais. L’optimisme n’est pas quelque chose que l’on peut réprimer, comme si l’on versait de l’eau sur un feu de camp pour l’éteindre à jamais. Les braises sont toujours ardentes et brûlent, attendant de s’enflammer en vue d’améliorer les choses.
Malheureusement, de nombreux optimistes sont disparus avant leur temps. Des explorateurs qui ont fait face à leur destin au cœur d’une nature sauvage impitoyable. Des inventeurs en herbe qui ont essayé de voler à une époque où l’ingénierie structurelle et l’aéronautique n’étaient pas encore connues. Les casse-cous qui ont perdu la bataille contre la gravité. Le commun des mortels les prendrait pour des détraqués, des cinglés suicidaires. Mais les optimistes les ont observés et se sont dit : « Pourquoi pas moi? C’est mon heure de gloire. J’en suis capable ». Ils ont alors foncé et quelques-uns d’entre eux ont réussi. C’est grâce à leurs efforts, aussi insensés soient-ils sur le coup, que nous évoluons et que nous nous améliorons. Personne n’a jamais découvert un nouveau monde assis sur son divan.
Armé de mon incapacité innée à dire « non » à un défi, d’une forte dose de naïveté et de l’envie de faire QUELQUE CHOSE, j’ai décidé d’aborder la question de la fermeture des écoles sous un angle différent. Je n’essaierais pas de m’opposer à la force inébranlable d’un ministère qui a déjà pris sa décision et dont les chiffres appuient cette décision. Au lieu de cela, j’ai décidé de trouver un moyen d’améliorer l’expérience éducative de nos enfants malgré la fermeture de près de la moitié des écoles.
C’est donc stylo en main que je me suis mis au travail. Je devais simplement trouver des idées pour permettre aux enfants d’apprendre, de s’amuser et d’être inspirés avec un budget annuel inférieur à celui qu’ils avaient auparavant. Avec moins de locaux. En parcourant de plus longues distances pour s’y rendre. Je me disais que si nos ancêtres avaient réussi à voler, à faire des pizzas et à jouer de la guitare (après l’avoir inventée), cela ne devait pas être bien difficile.
Plusieurs bouts de papier chiffonnés plus tard, je suis arrivé à la conclusion que c’était assez difficile. Très difficile. L’inspiration et l’enthousiasme s’étaient fait descendre comme des pigeons d’argile abattus par un fusil de chasse. Pas la moindre idée valable, même selon mon propre jugement, et encore moins une idée qui résisterait à l’examen minutieux des autres opposants, des détracteurs, des experts de salon et des responsables scolaires.
C’est une bonne chose que l’optimisme soit ancré en moi. Abandonner cette aventure à haut risque et à faible rendement était certainement la ligne de conduite la plus sensée et la plus rationnelle. Mis à part mon implication pour mes propres enfants, pourquoi devrais-je m’en soucier? Ce n’était pas mon problème. Ce genre de choses arrivait tout le temps ailleurs et les étudiants trouvaient toujours le moyen de recevoir une éducation locale et de devenir médecins, charpentiers ou autres. J’allais transformer mes amis en ennemis, ceux qui voyaient dans ma petite incartade un prétexte pour accepter les fermetures, être d’accord avec le gouvernement, soutenir leurs actions odieuses. Pourquoi diable aurais-je perdu une minute de plus?
Cependant, je ne pouvais pas abandonner. Ce n’était pas mon genre. Il m’était impossible de laisser tomber ce projet voué à l’échec. Comme un chien qui court après des balles; il le fera jusqu’à ce que ses pattes saignent et qu’il tombe d’épuisement. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut contrôler. Il ne s’agit même pas de contrôle, de pouvoir ou de victoire. Je devais le faire, c’est tout.
Comme ma créativité était à bout de souffle, je me suis dit que la bonne solution, ou peut-être même la meilleure, était sans doute de demander à toutes les personnes intelligentes que je connaissais ce que nous devrions faire à leur avis. J’avais la chance d’en connaître quelques-uns – ingénieurs, médecins, entrepreneurs, mères, enseignants et bien d’autres – tous intelligents et bien-pensants. Je les ai interrogés sur mon idée folle et, étonnamment, un certain nombre d’entre eux ont convenu que la recherche du positif peut être plus puissante que la simple lutte contre le négatif. Ils étaient partants, quelle que soit la forme que cela pouvait prendre.
Suite à toute une série de discussions, nous avons convenu de la nécessité d’organiser un événement public spécial. On y retrouverait plusieurs animateurs posant des questions au grand public intéressé. Un groupe générateur d’idées qui utiliserait les bonnes questions pour solliciter et recueillir des suggestions d’amélioration. Ce serait plus efficace que quelques-uns d’entre nous enfermés dans un sous-sol à griffonner nos propres idées. Si les propositions venaient du public, il était plus probable qu’il y adhère. Je me suis donc mis au travail. J’ai trouvé dix personnes très brillantes qui ont accepté de présider les ateliers et d’y consacrer une soirée de leur temps, y compris le directeur du district scolaire, qui cherchait lui aussi des réponses pour améliorer son nouvel univers. Nous avons convaincu le collège local de nous accorder l’accès à leur campus pour l’événement (« ouais, non, nous n’avons pas d’argent, vous serait-il possible de fixer le tarif de location à gratuit? »). Nous avons collé des affiches et harcelé les stations de radio pour qu’elles nous donnent des publicités gratuites. Nous avons convaincu le politicien provincial local, membre du parti qui réclamait les compressions, de participer à l’événement. Nous avons même créé un acronyme, le Strategic Pursuit of Educational Excellence in the Kootenays (Poursuite stratégique de l’excellence en matière d’éducation dans la région des Kootenays), SPEEK, car aucune initiative ne peut être mise en œuvre sans une abréviation accrocheuse, cela semble faire partie d’une des lois de l’univers.
C’était l’heure. La soirée de l’événement était arrivée. Mon travail m’obligeait à voyager et je me suis donc retrouvé dans le stationnement du collège en retard, mais au moins mon retard était compensé par le manque de préparation des animateurs face à leur rôle. Nous nous sommes réunis à la hâte et j’ai posé neuf questions à neuf professionnels, m’en réservant une. Heureusement, ils ont excellé, même s’ils n’avaient que très peu de matériel à leur disposition. Grâce à leurs talents de charmeurs, nous avons passé deux heures en petits groupes pour récolter les réponses aux questions que nous avions posées aux quelque deux cents citoyens présents. Quelles activités intéressent les enfants et ne coûtent pas cher? Quels groupes d’âge fonctionnent le mieux ensemble? Pourquoi ne pas échelonner les journées pour permettre à plus d’enfants de profiter de moins d’installations? Et ainsi de suite.
J’étais épuisé à la fin de la soirée, mais le travail ne faisait que commencer. Si nous voulions réussir, il fallait que les autorités entendent et acceptent nos idées. J’ai passé des jours à rédiger un rapport complet, en veillant à ce que toutes les suggestions soient classées par ordre de popularité et de faisabilité. Les cartes de remerciement envoyées et le rapport terminé, j’ai appuyé sur la touche « Envoyer » avec fierté. Il ne me restait plus qu’à attendre la réponse du gouvernement.
Qui n’est jamais venue. J’ai envoyé plusieurs courriels de suivi, mais au bout de deux semaines, je savais qu’aucune réponse n’atterrirait dans ma boîte de réception. Tout ce travail pour rien. Les gens que j’avais encouragés à venir ce soir-là, à offrir leur temps, leur énergie et leur expertise, auraient mieux fait d’emmener leur famille au cinéma. Toutes ces idées proposées par un public intéressé se retrouvent maintenant dans une poubelle électronique quelque part sur un serveur anonyme.
Le temps est passé et, comme prévu, les écoles ont fermé. Déprimé et plutôt honteux devant le manque total de réaction du gouvernement, je n’ai plus vraiment évoqué SPEEK, à moins que quelqu’un ne m’en parle. Les horaires d’autobus ont été adaptés et les enfants ont été transportés vers leurs nouvelles écoles. Retour à la normale. La vie a repris son cours.
Des mois plus tard, j’avais presque oublié l’événement lorsque j’ai croisé une enseignante de l’école de ma fille. Nous bavardions de tout et de rien lorsqu’elle a dit quelque chose qui a ravivé ma foi : « Nous allons essayer quelques concepts issus de l’événement SPEEK. Il y a des idées très intéressantes qui ont été proposées ». J’avais oublié qu’en plus d’envoyer le rapport au gouvernement, il avait également été transmis à ceux qui y avaient participé. Elle y compris. Nous nous sommes dit au revoir et avons repris nos chemins respectifs. Je souriais en marchant vers ma voiture.
J’avais mal interprété les choses, je les avais abordées de manière réductrice. J’étais convaincu qu’une entité lointaine, en l’occurrence un ministère sans visage que je ne connaissais pas, allait résoudre nos problèmes à notre place et que tout ce que nous devions faire était de leur donner des idées. Mais on venait de me rappeler que la meilleure façon d’avancer était de travailler avec le groupe de personnes les plus touchées par un problème et de leur donner la liberté de trouver les solutions. Et ils le feront, car ce sont eux qui ont le plus à gagner, le plus à perdre et qui se soucient beaucoup plus que quiconque de la situation.
Nous travaillons mieux lorsque nous sommes en groupe. Nous sommes des animaux sociaux, conçus pour vivre, travailler et jouer ensemble. Nous sommes comme les fourmis, les abeilles, les dauphins et les éléphants, et non comme le tigre solitaire qui chasse seul. Mon expérience de travail en solitaire pour comprendre les choses était destinée à échouer. Je suis loin d’être aussi intelligent que nous tous réunis. Ce n’est qu’en nous rassemblant, en nous écoutant les uns les autres et en acceptant que l’action est notre responsabilité que nous résoudrons les problèmes sociaux, économiques, sanitaires et énergétiques de notre époque. N’attendez pas une solution miracle venue d’ailleurs.
Au cours des prochains mois et des prochaines années, nous devrons nous attaquer à plusieurs enjeux importants. À quoi ressemblera notre nouveau monde? Comment allons-nous nous préparer pour faire face à la prochaine catastrophe mondiale? Notre économie va-t-elle se redresser ou se transformer?
Nous avons déjà été confrontés à d’énormes défis et nous les avons relevés de la même manière, en confiant les rênes à ceux qui avaient un intérêt précis. Sans oublier quelques optimistes fous par mesure de précaution.
Par souci de transparence, j’ai eu bien d’autres idées qui sont tombées à plat et qui ont eu le mérite de finir à la poubelle. Mais la vie continue et qui sait ce qui me viendra à l’esprit la prochaine fois?
Hmmm, je crois que j’ai peut-être trouvé une solution pour un traducteur de langues internationales en temps réel. Bon, si j’arrive à installer cette batterie…