C’est ce qu’on appelle la manipulation, mais elle porte aussi d’autres noms

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Sones-400.jpgKeith Sones

Au cours des soixante dernières années, j’ai été chanceux à bien des égards. Les occasions ont frappé à ma porte à plusieurs reprises, la plupart du temps par accident et même quand je regardais ailleurs. En ouvrant simplement la porte au bon moment, j’ai pu voyager dans les plus grandes villes et sortir des sentiers battus, j’ai une famille merveilleuse (j’ai rencontré ma femme lorsqu’elle a littéralement frappé à ma porte en pleine tempête de neige pour trouver refuge), je me suis attaqué à de nouveaux emplois passionnants et j’ai même pu exercer une certaine influence dans divers domaines afin de laisser un « héritage durable », même si ce fut surtout à petite échelle et que peu de gens s’en souviennent. Malgré tout, je souris en y repensant.

Néanmoins, il y a une chose qui ne me fait pas du tout plaisir. Pas même un tout petit peu. C’est une situation que je considère comme dangereuse, qui nous pousse à acheter des choses hors de prix et à croire certaines choses néfastes pour nous.

C’est ce qu’on appelle la manipulation, mais elle porte aussi d’autres noms. Préjugé. Point de vue. Persuasion. Il s’agit là des gentils cousins du mot, mais il existe également des équivalents plus obscurs. Mauvaise foi. Mensonge. Ou, plus récemment, les faits parallèles. Vous savez de quoi je parle. Ces fausses déclarations, parfois incompréhensibles et souvent trompeuses, formulées de manière à ce que les mauvaises nouvelles soient présentées comme un joli cadeau d’anniversaire. L’ennuyeux ou le banal devient en quelque sorte exotique, un motel deux étoiles en bord de route devient une destination vacances. Nous les entendons constamment dans les publicités télévisées, les talk-shows et les médias sociaux. Et bien entendu, de la bouche des politiciens.

Enfant, j’étais très crédule. S’il y avait une farce à faire, c’était moi qui recevais le seau d’eau en pleine poire. Quand un camarade de classe se vantait dans la cour de récréation de quelque chose d’extraordinaire (« Hé Keith, mon père a construit un vrai vaisseau spatial et nous l’avons fait voler hier! »), je voulais en savoir plus. En parcourant les titres des journaux que je livrais pour quelques dollars par semaine, j’étais fier de savoir que je transmettais à mes clients la vérité absolue. Enfin, pourquoi ce ne serait pas le cas? Bien sûr, tout était véridique.

Maintenant, ne vous méprenez pas. Je ne prétends pas être blanc comme neige ici. Au fil des ans, j’ai véhiculé ma part de fausses déclarations, j’ai inventé des choses pour mieux paraître, j’ai fourni des excuses pour éviter de rendre des comptes, j’ai même menti pour m’épargner une sanction. À ma mère : « Je n’ai pas mangé ces biscuits ». À ma femme : « Boire une bière avec les gars quand tu n’es pas en ville? Non, je vais juste faire le ménage ». À mon employeur : « Je ne me sens vraiment pas bien et je serai absent aujourd’hui (le soleil brille) ». Je suis aussi faillible que n’importe qui, alors mettons les choses au clair. Et même s’il m’est impossible de tout justifier, ce n’est pas de ce genre de manipulation de la vérité dont je parle.

Mes désillusions ont commencé lors de mon premier emploi au sein d’une entreprise suffisamment importante pour disposer d’un service de ressources humaines. Un de mes collègues était insatisfait de ses conditions de travail et, pour être honnête, de bien d’autres choses dans sa vie, et il ne cherchait pas à le cacher. Il était ce que l’on pourrait appeler un agitateur, ou peut-être même un fauteur de troubles, il était un véritable livre ouvert et ne se gênait pas pour exprimer son opinion à qui voulait l’entendre. Il a fini par quitter l’entreprise et… bon, attendez une seconde. Wow. Je viens de réaliser que je suis tombé dans le piège que j’essaie de décrire.

Je vais le dire autrement. Il a été congédié. Ce n’était pas un secret que lui et un des employés des RH ne s’aimaient pas. Il a donc rassemblé ses affaires et est parti en claquant la porte. Ça arrive. Je ne chercherai pas à savoir qui avait raison ou tort. Cependant, le lendemain, nous avons tous reçu un message des RH et, bien que je ne me souvienne pas du contenu exact de ce message, il était clair. Il s’agissait de quelque chose comme « Joe (nom fictif) ne travaille plus pour l’entreprise. Nous lui souhaitons bonne chance dans ses projets futurs ».

Quoi? Vous lui souhaitez bonne chance? Ce n’est pas le souvenir que j’en ai quand je repense aux cris à tue-tête que j’ai entendus. Aux dernières nouvelles, vous sembliez vouloir le jeter sous un bus (au sens figuré, bien sûr). Et le lendemain, vous lui souhaitez bonne chance? Vraiment?

Je savais pertinemment que ce n’était pas vrai. Vous pourriez croire que j’étais terriblement naïf et vous auriez probablement raison. J’étais peut-être novice dans le monde professionnel, je ne vous contredirai pas. Mais cela m’a tracassé, plus que de raison. Ce n’était pas seulement les mots qui me dérangeaient, c’était plus profond que cela. Un peu plus tard (genre le lendemain), j’ai compris pourquoi un bref mémo qui ne me concernait pas vraiment me mettait dans tous mes états. Le problème ne venait pas du message en lui-même. J’ai réalisé que j’aurais du mal à faire confiance à ce représentant des RH la prochaine fois qu’il me dirait quelque chose. Il était question de confiance, ou plutôt du manque de confiance.

Au cours des mois et des années qui ont suivi, j’ai lu plusieurs autres mémos similaires qui disaient tous à peu près la même chose. Dans la plupart des cas, je ne savais rien à propos des personnes impliquées, mais la même pensée lancinante me frappait chaque fois que ces mots étaient énoncés. « Je suis convaincu que l’histoire ne s’arrête pas là ». Mais comme je n’étais pas impliqué, j’ai laissé tomber et je suis devenu de plus en plus blasé, au point de ne plus m’en soucier.

La prochaine étape de mon parcours éducatif sur le sujet est venue de manière inattendue. Comme la plupart des gens, j’apprécie un bon film et, selon mon humeur, mes préférences vont du thriller d’espionnage à la comédie délirante. Un soir, j’avais envie d’un film drôle, alors je me suis rendu au club vidéo (Netflix et la plupart des sites Internet n’existaient pas encore) et j’ai choisi Crazy People – Truth in Advertising (Les fous de la pub). De retour à la maison, je l’ai glissé dans le magnétoscope VHS (si vous devez chercher sur Google, je sais quel âge vous avez) et je me suis assis pour le visionner.

Sans vouloir vous faire un résumé en 15 minutes, le film raconte l’histoire de quelques hommes et femmes d’une agence de publicité dans une grande ville, qui en avaient assez de la même vieille « rengaine » et voulaient créer des publicités qui disaient la vérité, ou qui donnaient au moins leur version de la vérité. Voici quelques exemples : « Achetez des Volvo. Ils sont de forme carrée, mais ils vont bien », et « Avoine Quaker. Les céréales ont-elles bon goût? Qui sait? Mais au moins la boîte est belle ». Il y en avait d’autres aussi, dont quelques-unes qu’il m’est impossible de citer ici. Si le film a comblé mon besoin de rire, il m’a aussi fait réfléchir. J’ai toujours su que les publicités étaient exagérées, qu’elles tentaient de vendre un produit précis, et personne ne prétendait le contraire. Il s’agissait donc d’une sorte de jeu loyal, même si la majeure partie de ce que nous lisions était une véritable déformation de la vérité ou passait sous silence les inconvénients. Nous étions conscients de cela.

C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser de plus près à notre façon de communiquer, et plus particulièrement au travail des spécialistes en marketing. Je me suis plongé dans des volumes de recherche, j’ai analysé les publicités que je voyais à la télévision, j’ai lu des mémos d’entreprise d’un œil critique et je me suis intéressé aux moyens utilisés pour influencer les gens. Pourquoi Nike et Coke ont-ils si bien réussi? Pourquoi certaines personnes dépensent-elles tout ce qu’elles ont pour acheter un ordinateur Apple alors que d’autres achètent une copie de PC à moitié prix? Pourquoi élisons-nous constamment des politiciens qui promettent monts et merveilles et ne tiennent pas leurs promesses, pour les réélire la fois suivante ET pourquoi essayons-nous de convaincre tous ceux qui nous entourent qu’ils devraient voter pour eux aussi?

Il m’a également fallu plonger dans la psychologie humaine. Mais cela en valait la peine. Bien que je sois loin d’être un expert, voici quelques points que j’ai retenus.

Tout bien considéré, il y a beaucoup plus de chances que vous croyiez ce que vous dit votre voisin plutôt qu’une personne qui se trouve à l’autre bout du pays ou du monde.

Toute bonne campagne publicitaire tente de vous faire réagir émotionnellement. Très peu d’entre nous achètent ou votent en se basant sur des faits. Plus vous êtes investi émotionnellement envers une marque, moins les faits comptent.

Les meilleures campagnes publicitaires sont celles qui ne ressemblent pas à des campagnes publicitaires (pensez aux médias sociaux). Et elles fonctionnent très bien.

Votre opinion sur un sujet donné reflète généralement celle de la plupart des gens (c’est pourquoi elle devient encore plus importante).

Et la plus importante leçon de toutes. Ce n’est pas parce que vous êtes maintenant conscient de cela que vous changerez votre façon d’acheter et de voter. C’est aussi puissant que cela.

Vous vous demandez peut-être pourquoi tout cela me dérange. Est-ce que je vais lancer une offensive pour interdire la publicité mondiale? Coke doit être vendu dans un contenant brun? Plus de pomme lumineuse sur votre MacBook?

Non, bien sûr que non. Non seulement il s’agirait de la plus grande bataille de David contre Goliath de l’histoire de l’humanité (et je perdrais lamentablement), mais cela reviendrait à passer à côté de l’essentiel. Je suis mécontent parce que de plus en plus de gens utilisent ces tactiques pour nous duper à grande échelle. Un scandale politique? Ne vous inquiétez pas les amis, cela sera relégué aux oubliettes tant que nous continuerons à dire aux gens comment nous allons résoudre tous leurs problèmes l’année suivante. Souvenez-vous, les faits n’ont aucune importance. Agression sexuelle dans l’armée? Depuis des décennies? Circulez, il n’y a rien à voir. Une entreprise qui pollue dans un pays étranger? Pas de problème, continuez à leur dire combien leurs produits sont bons pour l’environnement ici. Les poissons morts sont loin, alors qui s’en soucie?

Le problème, c’est que les faits ONT de l’importance lorsqu’il s’agit de gros problèmes. Les feux de forêt sont le résultat des changements climatiques et des pratiques en matière de gestion forestière. La première partie fait les manchettes, la seconde beaucoup moins. Il est logique d’électrifier les transports et d’autres secteurs de l’industrie, mais si vous devez faire passer deux fois plus d’énergie dans un réseau vieillissant, bien faire les choses coûtera cher. Les soins de santé à faible coût (gratuits à l’échelle nationale) sont une excellente idée, mais si une personne décède alors qu’elle se trouve sur une liste d’attente pour une opération chirurgicale, ne devrions-nous pas envisager une autre solution?

Comme dans le film Crazy People (alerte aux révélations : le directeur publicitaire désabusé est interné dans un établissement psychiatrique pour avoir voulu « se braquer contre l’Amérique » et reprend le travail lorsqu’il s’avère que le public aime la vérité), la franchise offre des avantages à long terme. La diplomatie et le respect des autres doivent également faire partie d’une discussion respectueuse, mais tenir des propos mensongers, trompeurs ou faisant appel aux émotions pour l’emporter au détriment des faits, c’est nous rendre à tous un bien mauvais service.

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