En chemin vers un futur carboneutre : la décarbonisation dans l’industrie ferroviaire nord-américaine Une discussion avec Martin Bussière d’ABB
5-janvier-2024
Elle Bremmer
Au cours de son histoire mouvementée, l’industrie ferroviaire a assuré les services essentiels de transport tant de personnes que de marchandises à travers l’Amérique du Nord, jouant un rôle clé dans le développement du continent. Aujourd’hui, elle embrasse à nouveau un avenir marqué par un changement transformateur : la décarbonisation. En adoptant l’électrification, les sources d’énergie renouvelable et les technologies avancées, l’industrie vise à se redéfinir en tant que mode de transport vert et efficace, ouvrant la voie à un avenir plus propre et plus durable.
Le monde de l’électricité en ligne a eu le plaisir de s’entretenir avec Martin Bussière, responsable du développement commercial d’ABB Canada pour la division ferroviaire nord-américaine, ainsi que directeur du Club ferroviaire canadien.
L’évolution de l’industrie ferroviaire vers des solutions électriques et hybrides gagne du terrain en Amérique du Nord. Dans ce premier article de la série, M. Bussière présente les différences entre les locomotives électriques, hybrides et diesels et explique à la fois les coûts et les opportunités offertes à l’industrie dans le cadre de l’électrification et de la réduction de l’empreinte carbone.
Pour commencer, j’ai demandé à M. Bussière d’expliquer certains des principaux avantages des trains électriques et hybrides par rapport aux trains à propulsion diesel, en particulier en ce qui concerne leur impact environnemental. Il a expliqué qu’un train peut réduire considérablement son impact en passant en « mode électrique » dans les zones urbaines ou très peuplées, réduisant ainsi la pollution sonore et l’impact sur l’environnement. Il ajoute que l’expérience des passagers s’en trouve considérablement améliorée, car « les trains hybrides et électriques offrent une conduite plus silencieuse et plus souple [grâce à] une réduction du bruit et des vibrations à l’intérieur du train, de sorte que le passager peut profiter d’un voyage plus confortable qui accroît sa satisfaction globale ».
M. Bussière évoque aussi la flexibilité et l’évolutivité offertes par les systèmes électriques et hybrides.
Le train hybride se présente comme une solution polyvalente qui s’adapte à l’évolution des besoins du réseau ferroviaire. Capable de fonctionner sur des voies électrifiées et non électrifiées, il réduit la dépendance à l’égard d’une seule source d’énergie, ce qui garantit un service continu, explique-t-il. Cette constance et cette fiabilité sont très importantes pour réduire les temps d’arrêt des passagers et des marchandises transportés par rail.
Cette innovation améliore la qualité globale du service et s’intègre parfaitement dans les environnements urbains et les zones sensibles au bruit, ce qui pourrait encourager les résidents et les navetteurs à considérer le train comme une option de transport viable à l’avenir.
Il détaille ensuite les différences spécifiques entre les modèles hybrides et électriques, en citant les différents avantages de chacun.
Il explique que dans un système hybride, les trains hybrides disposent d’une source d’énergie double, combinant les capacités électriques et diesels. Cette conception améliore la flexibilité des sources d’énergie, permettant des transitions transparentes entre les deux systèmes. Cette fonctionnalité dynamique optimise l’efficacité et réduit considérablement les émissions.
En outre, le train hybride utilise le freinage par récupération, une technologie similaire à celle utilisée dans les véhicules électriques. Ce mécanisme permet au train, à la manière de nos véhicules électriques, de récupérer et de conserver l’énergie lors du freinage. Cette énergie récupérée est conservée dans une batterie, ce qui offre l’avantage d’un stockage d’énergie excédentaire. Cette énergie peut ensuite être utilisée efficacement lors de l’accélération, améliorant ainsi la durabilité et l’efficacité opérationnelle tout en fonctionnant à l’électricité. Le système est en outre amélioré et soutenu par un système de contrôle intelligent.
M. Bussière précise : « Ces trains sont équipés de systèmes de contrôle très sophistiqués qui surveillent divers paramètres tels que la consommation, la performance énergétique et l’utilisation optimale de l’énergie. Grâce à cette approche axée sur les données, nous contribuons à optimiser les performances du train, à réduire la consommation de carburant et à minimiser l’impact sur l’environnement. »
Par la suite, j’ai demandé à M. Bussière comment l’industrie ferroviaire au Canada avait réussi à réduire les émissions de carbone au cours des dernières années, et dans quelle mesure.
Il explique qu’au Canada, le transport ferroviaire émet environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays et consomme deux milliards de litres de carburant par an. Il est possible de réduire considérablement l’empreinte carbone de l’industrie, car il y a 26 000 passages à niveau et 49 000 kilomètres de voies ferrées dans tout le pays, dont moins de 1 % sont électrifiés. Le transport ferroviaire de passagers transporte à lui seul 88 millions de personnes par an. Ce chiffre inclut 82,8 millions de personnes transportées par les trains de banlieue et 5 millions de personnes supplémentaires transportées par les trains de voyageurs interurbains.
Revenant au transport ferroviaire de marchandises, le plus grand consommateur de diesel du groupe, M. Bussière souligne le potentiel d’économie de coûts et d’énergie dans le développement de systèmes ferroviaires électriques et hybrides.
« Si vous prenez une locomotive d’une ligne principale en ce moment, disons CP (Le Chemin de fer du Canadien Pacifique), une locomotive consomme un peu moins de 730 000 litres de carburant diesel par an. Donc, cela représente un coût d’environ 850 000 dollars. Si nous pouvions réduire cela d’environ 75 pour cent en coût, l’économie de carburant serait d’environ un peu moins de 637 500 dollars par locomotive pouvant être réalisée chaque année. Sur une période de 30 ans, cela représente une économie de carburant d’environ 19 millions de dollars. »
Il dit que le Canada possède environ 2 660 locomotives en service aujourd’hui. Si l’on multiplie à nouveau ces 19 millions de dollars, on obtient une économie de coûts de carburant estimée à plus de 50 milliards de dollars. Ce chiffre ne tient même pas compte de l’augmentation estimée des coûts du carburant diesel à l’avenir.
« Cette [estimation des économies] ne tient pas compte des augmentations prévues du prix du diesel, des changements dans GTK (Gentrack Group, NZSE: GTK) qui a connu un taux de croissance annuel composé de 2,4 % depuis 1990, ou des améliorations de l’efficacité [dans lesquelles] l’EIA (Energy Information Administration) américaine prévoit que les prix du diesel pétroliers augmenteront de 21 % d’ici 2030 et de 27 % d’ici 2035. En comparaison, les prix de l’électricité ont tendance à être beaucoup plus stables sur de longues périodes », explique-t-il.
Martin Bussière,
Directeur du développement commercial Rail Segment Amérique du Nord ABB
Moins d’un pour cent des voies ferrées du Canada sont électrifiées aujourd’hui, en raison du coût élevé de la mise en œuvre. Les coûts des projets varient en fonction de facteurs tels que la nécessité de creuser des tunnels et les spécifications des corridors. Les dépenses vont d’un minimum de 38 millions à un maximum de 641 millions par kilomètre pour toutes les initiatives d’électrification en cours au Canada à ce jour.
Malgré tout, M. Bussière insiste à nouveau sur la grande efficacité du transport ferroviaire
« Autrefois dominées par le transport de passagers, les émissions de cette industrie augmentent en raison du transport de fret. Selon les prévisions, les émissions dues au transport de fret devraient dépasser celles du transport de passagers d’ici à 2030. En termes de tonnes-kilomètres, le transport ferroviaire est la méthode la plus répandue pour le transport de fret à l’échelle nationale (44 %, contre 33 % pour le transport par camion). Pourtant, l’industrie ferroviaire ne représente que 4 % des émissions totales de GES liées au transport au Canada, et 98 % de ces émissions sont dues au transport de fret. Ceci témoigne de l’efficacité énergétique de ce mode de transport. »
Cependant, les mesures prises par ces entreprises représentent des avancées progressives, soulignant l’énorme défi que représente la transition des locomotives de fret pour qu’elles ne dépendent plus du carburant diesel. Cette complexité découle des besoins énergétiques considérables qui nécessitent le remplacement des locomotives, ainsi que du stade de développement encore peu avancé de la plupart des solutions technologiques à zéro émission.
Pour conclure, l’industrie ferroviaire est le fer de lance de changements majeurs grâce à ses efforts de décarbonisation. Comme nous l’avons expliqué lors de notre entretien avec M. Bussière, le passage à des trains électriques et hybrides en Amérique du Nord marque un tournant décisif. Malgré les difficultés rencontrées, notamment les coûts initiaux élevés des projets d’électrification, le potentiel d’économies de carburant et d’avantages environnementaux sont immenses. Bien que progressives, ces avancées soulignent un engagement collectif en faveur d’un avenir plus propre et plus efficace pour le transport ferroviaire, ce qui conduira à d’autres innovations et à une meilleure gestion de l’environnement à l’avenir.
Revenez nous voir dans la deuxième partie de l’article de M. Bussière pour discuter de l’initiative Voies ferrées du Canada et des initiatives technologiques qui seront nécessaires pour réduire l’intensité carbonique du transport ferroviaire.
Pour en savoir plus sur la décarbonisation de l’industrie ferroviaire, lisez l’article de Martin ICI