Un électricien meurt d’un cancer par surexposition à l’amiante
Comment arrive-t-on à conter le récit de quelqu’un qui était non seulement une pierre d’assise, mais aussi le rayon de soleil d’une famille? Ceci est un récit sur Ronald Clarence Garland, mon père, auquel on a diagnostiqué un mésothéliome, cancer causé par une exposition répétée à l’amiante lorsqu’il travaillait comme électricien pour de grandes entreprises.
Mon père est né en N.-É. en août 1936, de Clarence et Nettie Garland. Il était le deuxième fils d’une famille de six comprenant Jack et Bill, ses frères, et Rae, Janice et Susan, ses sœurs. La famille a toujours eu de l’importance pour lui et, enfant, il était très près de ses sœurs.
Il a quitté la maison familiale à 16 ans pour aller travailler à Halifax sur les quais comme aide-électricien. Il avait reçu son permis dans la jeune vingtaine, et il a aimé travailler comme électricien pour Western Electric et la Nova Scotia Power Commission. Papa aimait la musique et il s’est acheté une guitare acoustique, une Gibson, avec l’un de ses premiers chèques de paie. Elle est devenue sa plus fidèle compagne jusqu’à ce qu’il rencontre June Crossley, sa future femme, à l’Expo de Windsor. Nous le taquinions souvent pour savoir qui, des deux, était son premier amour. C’est par la musique que papa a gagné le cœur de maman, et leur amour a duré 54 années. Ils se sont mariés en avril 1957 et ils ont eu trois enfants : Charmaine (que papa appelait toujours Charlie), Pam et Jim. Nous avons grandi dans une maison remplie de musique et d’amis, où les « jam-sessions » avec maman au piano, papa à la guitare et nos voix n’étaient pas rares. Nous chantons toujours et Jim, mon frère, joue aussi de la guitare. Notre famille est tissée serrée et nous célébrons Noël, les anniversaires et les fêtes ensemble. Noël est toujours synonyme de joie à la maison. Papa aimait décorer l’arbre avec nous en chantant « Mon beau sapin ». Il aimait recevoir sa famille et ses amis, et il avait toujours une étincelle dans l’œil et un câlin à offrir! C’était une personne chaleureuse et aimante. Les étrangers devenaient souvent des amis et ses amis devenaient sa famille. C’était comme ça chez nous.
Papa a joué avec plusieurs groupes musicaux au cours de sa vie, dont les Newfie Bullet, et plus tard avec le groupe Newfoundland Connection en compagnie de ses amis de longue date, Dorothy (Dot) Rogers et David Howell. Lui et maman ont aussi joué avec les Kings Fiddlers, groupe local de Kings County, N.-É. Le rêve de papa était d’enregistrer un CD, ce qu’il a fait en septembre 2011 avec Dot. La famille et les amis en ont reçu une copie durant une soirée musicale en 2012 en l’honneur de papa. Le produit de la vente des CD a été remis au Pavillon IWK des jeunes cancéreux et aux Anges de Noël (qui amassent des fonds pour les enfants de la région grâce à leur musique). Papa adorait les enfants. Il avait sept petits-enfants et deux arrière-petits-enfants, ainsi qu’un grand nombre de neveux et de nièces qu’il affectionnait. La musique et les amis était le titre du CD, ce qui résumait bien la vie de papa.
Peu après Noël 2010, papa a commencé à tousser. Comme en mars il toussait toujours, son médecin lui a prescrit une radiographie. Les résultats ont révélé la possibilité d’une tumeur maligne au poumon gauche. L’investigation s’est poursuivie. En avril, un scan indiquait la présence possible d’un mésothéliome, d’un cancer de la prostate et de métastases dans les os. Selon toute apparence, le mésothéliome résultait de l’exposition à l’amiante. On a suggéré une chirurgie du thorax. En mai, papa a été envoyé à la Clinique de chirurgie thoracique où un chirurgien l’a examiné, et lui a dit croire qu’il avait un mésothéliome et qu’il pourrait recevoir une compensation. On lui a dit de communiquer avec la Commission de la santé et sécurité pour entreprendre des procédures. Le chirurgien a mis à l’horaire une biopsie du poumon gauche pour obtenir le plus rapidement possible un diagnostic. On lui a recommandé une combinaison de chimiothérapie et de radiothérapie pour traiter la maladie, mais non la guérir. Le 15 juin, le diagnostic dévastateur du mésothéliome a été confirmé, ce qui a changé notre vie familiale à jamais.
Papa s’est montré optimiste et a senti qu’il pourrait être le premier à vaincre ce cancer. La biopsie pleurale était terminée et il était déterminé à vivre à plein au quotidien. Il avait émis le souhait de visiter sa petite-fille à Toronto et lorsque maman lui a demandé s’il se sentait d’aplomb pour y aller, il a dit : « oui ». « Quand? » Papa a répondu : « Aussitôt après notre coupe de cheveux! » Maman m’a téléphoné pour savoir si mes bagages étaient prêts. J’ai dit : « Où allons-nous?! » Elle a répondu : « Nous partons après le lunch! » J’ai crié à mon mari : « Nous allons à Toronto! » Et il a dit : « Fais ma valise! » Trois heures plus tard, nous étions en route! Papa et maman se tenaient la main sur le banc arrière, admirant le paysage, loin des rendez-vous médicaux et des conversations sur le cancer. Nous avons passé quatre jours merveilleux avec notre fille et nous sommes retournés à la maison pour faire face à la réalité.
Pam, ma sœur, a tout fouillé pour trouver une cure. Elle a trouvé un purificateur d’eau désioniseur, du thé Essiac et de nombreux autres remèdes. Papa les a tous essayés. Pam et moi avons gardé espoir de trouver une cure. Nous pensions que s’il y avait quelqu’un qui pouvait vaincre le cancer, c’était papa. Jim, mon frère, était réaliste et nous a ramenés à la réalité, même si c’était difficile pour lui. C’est à ce moment que Jim a souffert d’une crise d’épilepsie majeure causée par le stress de la maladie professionnelle de papa. Cela a mis encore plus de stress sur la famille.
Ron avec Rae, sa sœur.
Papa a continué à vivre sa vie à plein en disant « chaque jour où je peux mettre le pied au sol est un bon jour ». Il a continué à gratter sa guitare malgré la douleur. Pam, ma sœur, a planifié en août une célébration pour les 75 ans de papa à laquelle ont assisté de 75 à 100 personnes. Trois jours plus tard, le jour de son anniversaire, les Kings Fiddlers sont arrivés avec un gâteau et leurs violons, et ils ont fait une « jam-session ». Papa était fatigué, mais content. Jamais on ne croirait, à voir les photos de ces événements, qu’on lui avait donné en mai de deux à quatre mois à vivre. C’est en septembre qu’il a enregistré son CD.
Papa a commencé à décliner en novembre et il a nécessité des soins palliatifs à domicile pour les médicaments et le contrôle de la douleur. Une semaine avant son décès, il voyait encore à ses affaires. Nous sommes allés fin novembre en ambulance à l’hôpital en raison des complications causées par le mésothéliome. On l’a admis aux soins palliatifs. Pendant qu’il y était, il a continué à jouer de la musique pour les autres patients et il a tenu des « jam-sessions » dans sa chambre. Des chanteurs de cantiques sont passés, ainsi qu’un petit elfe. Un arbre de Noël plein de cadeaux décorait la chambre. Papa a pu se rendre à la maison à quelques reprises pour s’assurer que maman avait un arbre de Noël. Il était membre actif de l’Église Unie de Windsor et ancien membre de la chorale. Le 18 décembre, la chorale lui a dédié une cantate de Noël. Il est décédé plus tard ce jour-là, le jour de l’anniversaire de Rae, sa sœur.
Papa était un bon vivant et il prenait soin de lui-même. Il se levait chaque matin à 5 h pour faire ses exercices, prendre son petit-déjeuner, faire son lunch et se rendre au travail à Halifax. Il était fier de maintenir un mode de vie sain, et il ne faisait pas son âge malgré ses 75 ans. Le chirurgien d’Halifax pensait qu’il avait plutôt 60 ans et disait : « Vous n’êtes pas prêt à mourir. » Et papa répondait : « Non, je ne le suis pas. »
La famille essaie maintenant de vivre sans sa présence. Ce sont les petites choses qui nous manquent le plus. Maman est sur le point d’emménager dans une résidence pour retraités et elle trouve difficile de continuer seule, de prendre des décisions et d’avoir à vivre sans l’amour de sa vie. Tous les membres de sa famille et ses amis s’ennuient de son étincelle dans l’œil, de son sourire engageant et de le voir gratter sa guitare.
Face à la mort, papa a choisi la vie. Papa a maintenu une attitude étonnante sur la vie et la mort. Il a pleuré avec chacun de nous à l’idée de quitter son « Junie Bug » et sa famille. Il savait qu’il laissait derrière lui sa douleur et qu’il allait vers une autre vie. C’est avec courage qu’il a fait face à la mort, et il cherchait à savoir à quoi ressemblait la vie au paradis. Sa force de caractère, sa vie, son amour et sa foi nous ont impressionnés. Une semaine avant sa mort, alors qu’il se tenait devant la glace de la salle de bain, je l’ai regardé et j’ai vu qu’il se taillait les sourcils! À un autre moment, alors que je l’aidais à s’asseoir sur son lit d’hôpital en le soutenant, il a commencé à danser avec moi. Lorsqu’il est devenu trop faible pour marcher, je me plaçais devant lui, il me tenait par la taille et maman le tenait par-derrière, et il prétendait qu’on faisait le train et disait « choo-choo! » malgré la douleur atroce.
Papa a maintenu son sens de l’humour, sa joie et sa reconnaissance à la vie jusqu’à la fin. Lorsque je plie sous le chagrin, je l’entends me dire : « C’est assez Charlie ». J’essuie mes larmes et je continue ma journée, heureuse d’avoir les deux pieds au sol.
This article first appeared in the fall 2014 issue of a newsletter published by Threads of Life, a national charity that helps families affected by a workplace tragedy along their journey of healing. Threads of Life also offers a Speakers Bureau in which Threads of Life volunteers share their stories — immediate, affecting, and powerful tools for creating a safety culture. Find out more: http://threadsoflife.ca.