Une nouvelle réglementation clé pour contrôler les sources d’énergie- Partie 2

13 juin 2016

Valérie Levée

Malgré les apparences, un appareil brisé hors d’état de marche n’a rien d’inoffensif. Il est au contraire dangereusement sournois, car il peut être le siège de toutes sortes d’énergies prêtes à se libérer de façon intempestive. Et dans ce cas, mieux vaut ne pas être dans les parages. De la vapeur peut jaillir d’une vanne, la pression hydraulique peut faiblir et faire tomber un bras de levage, de l’électricité peut circuler, le réservoir d’un produit corrosif peut fuir…

Photo : Alain Tremblay, CNESST

Les situations sont multiples dans les usines autant que sur les chantiers de construction. Chaque année en moyenne au Québec, quatre travailleurs perdent la vie, électrocutés, coincés, entraînés par des pièces en mouvement. Quatre décès de trop, puisqu’évitables si avant toute intervention de réparation ou de maintenance, les énergies sont cadenassées ou contrôlées. Les articles 188.1 à 188.13 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST) et 2.20 du Code de sécurité pour les travaux de construction (CSTC) l’énoncent désormais clairement.

Dans la première partie, nous avons survolé l’historique de la réglementation, l’action de cadenasser et les autres procédures de contrôle des énergies. Dans cette deuxième partie, nous verrons la procédure de cadenassage chez Hydro-Québec, l’importance de la formation et de l’information et des exemples d’accidents de cadenassage.

Hydro-Québec, ou le cadenassage à grande échelle

Par la force des choses, le cadenassage est une seconde nature chez Hydro-Québec et il est appliqué à grande échelle. Les machines se comptent par dizaines de milliers dans toute la province. Des fiches de cadenassage sont créées pour cet équipement, ainsi que chaque fois qu’un appareil est ajouté ou modifié. « Dans un poste, la zone à cadenasser peut s’étirer sur plusieurs centaines de mètres. Sur une ligne, il faut cadenasser aux deux extrémités, parfois à des centaines de kilomètres de distance. Il y a des entrepreneurs d’un peu partout qui vont intervenir, sur plusieurs semaines. Il faut donc coordonner tout ça », dépeint Alain Auger, ingénieur, chef de la sécurité à la division Hydro-Québec TransÉnergie.

Une telle ampleur a nécessairement conduit Hydro-Québec à ne pas attendre la réglementation pour concevoir des procédures de cadenassage et de maîtrise des énergies dangereuses. Depuis 1986, elles sont consignées dans le Code de sécurité des travaux d’Hydro-Québec et dans des encadrements connexes qui décrivent des tâches spécifiques.

Exemple fréquent de cadenassage chez Hydro-Québec, un travailleur crée une zone protégée en levant le bras d’un sectionneur pour couper le courant et y appose un cadenas pour empêcher qu’il ne soit descendu pendant la durée des travaux sur la ligne. D’autres fois, parce qu’il faut assurer l’alimentation électrique d’une ville et qu’il n’est pas possible de couper le courant, Hydro-Québec a mis en place des procédures de travail avec des outils isolants comme des gants et des perches pour travailler à distance. « Avant le travail, il y a un test à faire dans le but de vérifier l’isolation des gants. On envoie de l’air pour vérifier qu’il n’y a pas de petits trous où le courant passerait », précise Alain Auger. Une procédure explique comment entretenir les gants pour qu’ils conservent leur isolation.

Hydro-Québec s’apprête à implanter des cadenas magnétiques qui s’ouvrent et se ferment au passage d’une clé magnétique. Les délicates manœuvres de cadenassage effectuées avec une clé fixée au bout d’une perche isolante en seront grandement facilitées. Une fiche de cadenassage accompagnera l’implantation de ces nouveaux cadenas, car un encadrement prévoit la rédaction de fiches de cadenassage chaque fois qu’un appareil est modifié.

Les employés concernés par le cadenassage reçoivent une formation, et même les sous-traitants qui viennent travailler chez Hydro-Québec doivent être formés. « Ça fait partie des contrats. Une entreprise qui vient chez nous doit avoir un nombre minimal de responsables formés selon le Code de sécurité des travaux. Donc, ces responsables ont appris nos méthodes de travail et sont capables de les appliquer », assure Alain Auger. À l’inverse, les employés d’Hydro-Québec adoptent les règles de sécurité en vigueur lorsqu’ils vont dans une entreprise externe. Si l’équipement en place ne leur permet pas d’appliquer les procédures d’Hydro-Québec, ils sont encouragés à le signaler à leur gestionnaire, qui en avisera l’entreprise.

Certains fabricants prévoient des dispositifs de contrôle des énergies adaptés à l’équipement qu’ils conçoivent. Une presse sera alors vendue avec des chandelles qui soutiendront la partie supérieure de la presse pour éviter qu’elle ne tombe sur un travailleur affairé à changer la matrice. Ou alors, un dispositif d’interverrouillage peut fermer l’interrupteur à l’ouverture d’une porte, comme sur nos lave-linge et sèche-linge. Ainsi, dans une bétonnière, une grille protectrice peut être conçue pour arrêter le mélangeur quand elle est soulevée. Si l’appareil ne présente pas de dispositifs de contrôle des énergies, il est possible de le modifier pour en ajouter, mais un ingénieur doit valider la modification. « Initialement, la sécurité est garantie par le fabricant et toute modification d’une machine transfère la responsabilité de la sécurité à celui qui a fait la modification, précise Tony Venditti. Celui qui modifie l’appareil doit avoir les compétences pour répondre de ces modifications. » Éric Deschênes ajoute que « s’il s’agit d’un appareil électrique, on doit s’attendre à devoir recertifier ce dernier afin de se conformer à l’article 2-024 du Code de construction du Québec, chapitre V : Électricité, qui stipule que tout appareillage électrique utilisé dans une installation électrique ou destiné à être alimenté à partir d’une installation électrique doit être approuvé pour l’usage auquel il est destiné. Donc, un appareil déjà certifié initialement perdra sa certification s’il subit une modification, aussi légère soit-elle ».

Finalement, mettre en place et appliquer les autres méthodes de contrôle d’énergie n’a rien d’un raccourci pour contourner le cadenassage. Ce serait même plus contraignant, selon Marc Beaudoin. « Faire une matrice d’analyse de risques demande plus de réflexion, c’est plus exigeant pour l’entrepreneur », soutient-il. C’est aussi plus contraignant pour le maître d’œuvre ou l’employeur ayant autorité sur l’établissement, car c’est lui qui porte la responsabilité de l’élaboration d’une méthode efficace de contrôle des énergies. Il pourrait alors être judicieux, lors de l’achat d’équipement, de privilégier des machines sécuritaires déjà pourvues de dispositifs de contrôle des énergies. « C’est plus cher initialement, mais on économise à la longue sur la formation et la mise à jour des procédures, qui sont des activités récurrentes », croit Pierre Bouchard.

Tout est dans la procédure

Pour être appliquée avec efficacité, une procédure de cadenassage ou d’une autre méthode de contrôle des énergies doit être précisément décrite et disponible sur les lieux de l’équipement pour toute personne ayant accès à la zone dangereuse. C’est à l’employeur ayant autorité sur l’établissement ou au maître d’œuvre de s’assurer que ces procédures sont élaborées et appliquées. Leur élaboration doit inclure des personnes compétentes, mais peut aussi inclure les travailleurs qui auront à les appliquer. « Le cadenassage ne sera jamais appliqué si la direction, le travailleur et le syndicat ne s’impliquent pas, estime Yuvin Chinniah. Le fait que ce soit signé par des gestionnaires, que ce soit discuté avec les travailleurs, les gens y participent, ça donne un excellent point de départ. » « Dans les bonnes pratiques, les procédures sont montées avec les opérateurs, l’employeur, le contremaître, et ensuite approuvées par une personne responsable dans l’entreprise », ajoute Andrée Bouchard. Le règlement précise ce qu’elles doivent contenir. On doit y trouver une description de la machine et identifier la personne responsable de la méthode de contrôle des énergies. Elle doit indiquer les sources d’énergie, les points de contrôle de ces énergies et le matériel nécessaire pour les couper ou les contrôler. Elle décrit étape par étape les opérations à faire pour contrôler les énergies, incluant, dans le cas du cadenassage, l’élimination des énergies résiduelles, la vérification du cadenassage et les opérations de décadenassage. « La vérification des énergies est un gros plus par rapport à l’article 185 », observe Pierre Bouchard. Valérie Bell ajoute que la planification d’une procédure de cadenassage peut inclure, s’il y a lieu, l’équipement de protection individuelle (ÉPI). « Il faut présumer qu’il peut y avoir une source d’énergie encore présente tant que l’énergie résiduelle n’est pas dissipée et que le cadenassage n’est pas vérifié », rappelle-t-elle. De la même façon, ces ÉPI doivent être portés à nouveau lors du décadenassage et de la remise en marche de la machine. La procédure doit aussi prévoir des moyens de communication entre les travailleurs lorsque plusieurs équipes de travail se relaient sur l’équipement. « Il faut s’assurer que toute l’équipe est au courant, il faut mettre en place un système de communication entre les quarts de travail », insiste Andrée Bouchard. Enfin, les procédures doivent être mises à jour lorsque les machines sont changées ou modifiées et les travailleurs doivent en être informés.

La validation des procédures est une étape essentielle dans le processus de contrôle des énergies.

La formation, et plus largement l’information sont la clé d’une application efficace du cadenassage ; c’est pourquoi le nouveau règlement stipule que l’employeur ayant autorité sur l’établissement ou le maître d’œuvre en a la responsabilité. L’information concerne aussi les sous-traitants et là, les responsabilités sont partagées entre l’employeur ayant autorité sur l’établissement ou le maître d’œuvre et le sous-traitant. Le premier doit s’assurer que les procédures sont conformes au règlement et qu’elles sont appliquées, et le second doit obtenir une autorisation écrite du premier pour accéder à la zone dangereuse d’une machine avant d’effectuer ces travaux. « Cette partie-là n’était pas toujours réalisée et c’était l’entrepreneur qui, lorsqu’il arrivait le matin, devait élaborer lui-même la procédure alors qu’il ne connaissait pas nécessairement les installations, le matériel et les points de coupure, évoque Marc Beaudoin. Le règlement précise les responsabilités et implique le maître d’œuvre en lui donnant la responsabilité de faire ce travail en amont, avant que l’entrepreneur s’exécute. Ça va encourager la communication entre le maître d’œuvre et l’entrepreneur avant les travaux pour que la procédure soit efficace. » Poussant la réflexion plus loin, M. Beaudoin aimerait que les méthodes de contrôle des énergies fassent partie des appels d’offres pour que l’entrepreneur sous-traitant soit en mesure d’évaluer les besoins spécifiques de chaque projet.

Tout le monde se prépare

Déjà, les associations sectorielles, syndicales et patronales s’appuyaient sur la norme pour encourager les divers secteurs d’activité à mettre en place des bonnes pratiques de cadenassage. Autant les employeurs et les maîtres d’œuvre que les travailleurs devraient donc être préparés à intégrer le cadenassage dans leurs responsabilités et leurs pratiques de travail. « Même si la norme n’est pas obligatoire, nous la recommandions comme méthode de travail et dans nos formations, nous l’avions intégrée, de sorte qu’on a amené les entreprises, du moins celles qui le voulaient, parce qu’une association sectorielle ne peut pas contraindre, mais peut recommander l’application de cette norme plus complète et sécuritaire que les deux articles qu’il y avait avant dans le règlement », relate Waquih Geadah, ingénieur et coordonnateur à l’ASFETM. Désormais, l’ASFETM aura plus de poids dans son discours de formation. « Avant, on disait que le règlement n’étant pas très détaillé, une entreprise qui voulait faire preuve de diligence raisonnable pouvait s’inspirer de la norme, poursuit Waguih Geadah. Maintenant, ce n’est plus seulement une recommandation de l’association sectorielle. Le règlement s’inspire de la norme et c’est une obligation ». L’ASFETM propose plusieurs niveaux de formation et de services-conseils allant de l’analyse de risques et de l’élaboration des procédures à la lecture et à la bonne application de ces procédures. À l’ASP Construction, Valérie Bell tient des propos similaires. «  On avait déjà une formation sur le cadenassage, et la réglementation renforce le discours qu’on avait. » À l’ACQ, les entrepreneurs ont été informés. « On a fait des publications ces deux dernières années, notamment un numéro spécial sur le cadenassage dans la revue Construire de cet été », relate Marc Beaudoin. L’ACQ a formé ses conseillers en santé et sécurité en mai dernier. « Ils interviennent déjà pour conscientiser les entrepreneurs sur les nouvelles méthodes et les particularités du règlement à venir. » La CSN a fait une mise à jour de sa formation en ligne et forme les représentants syndicaux qui iront transmettre l’information dans les milieux de travail. De son côté, la CNESST divulguera l’information sur son site Internet et lors de colloques régionaux, en plus de préparer un guide à l’intention des établissements. Les inspecteurs de la CNESST vont aussi être formés pour observer l’application de la nouvelle règlementation, et Yuvin Chinniah souhaite que les inspecteurs ne se limitent pas à examiner les programmes de cadenassage, à vérifier la formation des employés et la présence du matériel de cadenassage. Il encourage à demander des simulations, car il a déjà eu la surprise de voir un employé cadenasser un appareil et laisser traîner sa clé !

L’étape ultime sera l’application de cette nouvelle réglementation. Si plusieurs grandes entreprises qui ont des standards élevés en santé et sécurité et des ressources humaines qui prennent à cœur la santé et la sécurité ont déjà des procédures de cadenassage, les petites entreprises pourraient avoir plus de difficultés à appliquer le nouveau règlement. « On a fait l’exercice pour voir si c’est applicable dans les petits établissements et la réponse est oui, parce que dans un petit établissement, il y a moins d’équipements », estime Andrée Bouchard, qui rappelle également que les responsabilités d’un employeur en matière de santé et de sécurité ne dépendent pas de la taille de son entreprise. D’ailleurs, les pratiques de cadenassage ne devraient pas être considérées comme une difficulté ou une entrave à la production. « On peut penser que c’est complexe parce qu’il y a des étapes et que ça prend du temps, mais une fois que c’est en place, ça facilite la gestion des tâches. Le travailleur lit la procédure et effectue les étapes sans se poser de questions ». Parce que chacun sait ce qu’il a à faire, les opérations sont plus fluides, en plus d’être plus sécuritaires.

Accidents de cadenassage

Le 27 août 1999, deux travailleurs sont couchés sur la pale d’une turbine pour déboulonner une plaque d’acier. À un étage supérieur de la centrale hydroélectrique, les travailleurs d’une autre entreprise actionnent un disjoncteur, qui met en marche la turbine. Les deux travailleurs sont entraînés et décèdent.

Le 2 août 2003, un chef affûteur ouvre le panneau arrière d’une scie circulaire sans avoir coupé l’alimentation électrique. Son avant-bras gauche touche les bornes électriques à nu et sous tension du transformateur. Il meurt électrocuté.

Le 9 juillet 2005, un apprenti frigoriste répare le compresseur d’une unité de climatisation d’un dépanneur. Il débranche le compresseur, mais pas l’unité de climatisation. Il est électrocuté par des pièces sous tension de l’unité de climatisation.

Le 19 novembre 2005, le gérant d’un élévateur à grains et un travailleur journalier montent sur l’élévateur pour le réparer. Ils ont coupé l’alimentation électrique, mais il reste du grain dans les godets de l’élévateur. Au cours de la réparation, le poids du grain met l’élévateur en mouvement, qui entraîne les deux hommes. Le travailleur journalier décède, victime de l’énergie gravitationnelle résiduelle.

Le 18 janvier 2008, au centre de ski de Stoneham, un chef mécanicien installe un panneau protecteur sur la tour motrice d’une remontée mécanique quand un autre employé met en marche la remontée. Entraîné par le mouvement du câble, le chef mécanicien se retrouve mortellement coincé entre le câble et la poulie.

Le 8 septembre 2014, un travailleur effectue une réparation sous les bras de levage d’une chargeuse. Il appuie le godet de la chargeuse sur deux blocs de béton pour pouvoir accéder à la soupape. Il libère la pression hydraulique du bras et cale les roues arrière de la chargeuse, mais une fuite d’huile hydraulique fait basculer le godet, qui tombe en écrasant le travailleur.

Cas typique d’accident survenu lors de travaux de rénovation : dans un local commercial, un travailleur meurt électrocuté alors qu’il entre en contact avec une pièce de l’installation électrique étant demeurée sous tension. On utilise du ruban isolant sur les disjoncteurs du panneau de distribution électrique comme méthode de contrôle de l’énergie.

Lisez la première partie ici: www.fr.electricalindustry.ca/articles-recents/1660-une-nouvelle-reglementation-cle-pour-controler-les-sources-d-energie-partie-1.


Cet article a d’abord été publié par Prévention au travail au preventionautravail.com/reportages/313-une-nouvelle-reglementation-cle-pour-controler-les-sources-d-energie.html

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