Force tranquille : Jamais ces mots n’ont été mieux utilisés que pour décrire John Sencich

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lme50_cs1_senchich_400.jpgPar Line Goyette

15 février 2018

Je connais John Sencich, depuis les débuts de notre publication. Il a accepté dès le départ de faire partie du comité éditorial. Sa contribution a été régulière et soutenue. Toujours présent pour répondre à mes questions techniques, me référer à la bonne personne pour informations supplémentaires si nécessaire. Toujours disponible malgré un agenda de président d’une entreprise d’une telle envergure. Depuis 5 ans, de nombreux leaders m’ont cité le nom de John Sencich quand je leur demandais de me nommer une personne qui avait fait une différence dans leur vie ou qui les inspirait comme leader. John préférait que je ne mentionne pas son nom publiquement. Une force tranquille, tels sont les mots qui à mon avis résument le mieux cette personnalité de l’industrie qui prendra sa retraite sous peu avec Karen, sa complice de toujours. Je lui ai demandé avant de partir de nous livrer ses impressions sur le parcours de notre industrie et l’endroit vers où nous nous dirigeons.

Q. John, vous avez fait partie de cette industrie depuis le début de votre carrière. Vous avez gravi les échelons chez Thomas & Betts pour devenir vice-président exécutif pour ABB Canada ( suite à leur acquisition de T&B ). Vous avez également assumé d’importantes responsabilités pour T&B Australasia. Quels ont été les changements les plus marquants dont vous avez été témoin au cours de votre carrière dans notre industrie?

J’ai fait mon entrée en 1981 dans l’industrie électrique; ça me semblait aller de soi puisque mon père y a fait une longue carrière. En y repensant, je réalise que j’y suis arrivé à l’aube d’une révolution où les ordinateurs et la technologie allaient transformer pour toujours la manière de conduire des affaires dans le monde entier. J’ai toujours possédé une habileté naturelle et une curiosité en ce qui concerne la technologie, alors ce fut pour moi un moment excitant d’y faire le saut. 

Pour ma première journée de travail, je me suis familiarisé avec une technologie qui ferait sourire les jeunes aujourd’hui : un ordinateur central, des téléscripteurs, des commandes reçues par téléphone ou par la poste et des bordereaux d’expédition écrits à la main.

Au début des années 80, on croyait encore faire carrière dans un nombre limité de compagnies ou, au mieux, une seule. La formation nous était fournie par de vraies personnes et le papier dominait nos vies. La technologie a aussi influencé une main-d’œuvre en évolution. Stimulée par les avancements technologiques (téléphones intelligents, la toile et les médias sociaux), la main-d’œuvre d’aujourd’hui est beaucoup plus transitoire et ne regimbe pas à changer d’employeur, ou souvent même de carrière, pas juste une ou deux fois, mais de nombreuses fois tout au long de leur vie active. Ils sont branchés 24/7, ne se servent que rarement d’un crayon et d’un papier et attendent de leur employeur qu’il réagisse à toute vitesse.

Pendant une courte période, les entreprises ont couru pour maintenir le rythme de peur d’être isolées. Ce qui est devenu rapidement évident, c’est que ce n’étaient pas les changements technologiques comme tels qui posaient un défi, c’était le rythme toujours plus rapide de ces changements. Aujourd’hui, ce rythme a pris des proportions exponentielles.

Quels furent vos plus grands défis?

En tant que jeune dirigeant, comprendre comment motiver les gens représentait un défi au début. Étant fortement organisé et habile avec la technologie, j’essayais au début de transmettre ma méthodologie à ceux qui travaillaient pour moi. J’ai appris à la longue que chaque employé avait sa propre manière de travailler et d’apprendre. Pour qu’ils réussissent à accomplir leurs tâches, ils avaient besoin que je leur délègue la responsabilité et l’autorité appropriées.

Je me souviens m’être senti frustré parfois par la lenteur avec laquelle l’industrie adoptait de nouvelles méthodes de travail. Un exemple parfait de ceci – au milieu des années 80, dans le but d’aider l’industrie canadienne à maintenir sa compétitivité, le CEDA (Associationcanadienne des distributeurs d’équipement électrique) a créé un comité sur l’échange de données informatisées (EDI) pour déterminer comment instaurer le commerce en ligne et, ce faisant, réduire les coûts des transactions. Malheureusement, le projet a été mis de côté quand le télécopieur est apparu. Je me rappelle avoir été incapable d’imaginer comment un procédé automatisé comme l’EDI pouvait avoir été écarté par un tel outil de communication qui exigeait énormément de manipulation de l’expéditeur comme du destinataire. L’industrie du commerce de détail et plusieurs gros détaillants ont par la suite pris le dessus et obligé les manufacturiers à établir l’EDI s’ils voulaient demeurer fournisseurs. Peut-être que l’industrie électrique aurait dû faire la même chose il y a 30 ans.

Quels ont été les plus beaux moments de votre carrière et ceux de l’industrie à cette époque ?

J’avais une place de choix pour observer les leaders de l’industrie électrique qui « pavaient la route au fur et à mesure qu’ils avançaient ». C’était inspirant d’être témoin des essais et erreurs et des succès éventuels. J’étais le jeune nouveau, mais, très vite, j’ai eu la chance d’avoir voix au chapitre et que la haute direction écoute mes idées et m’offre la chance de grandir et d’élargir mon horizon. Je m’aventurais souvent en territoire inconnu, mais j’adorais les défis et je savourais chaque étape pour les relever. 

Quel fut votre plus grand succès?

Au début des années 90, le besoin se fit sentir d’étudier comment notre industrie pouvait aller de l’avant. À cette époque, j’étais président de l’Association des manufacturiers d’équipement électrique et électronique du Canada (EEMAC) et j’ai eu l’honneur de siéger sur un comité regroupant un nombre limité de distributeurs et manufacturiers qui devait déterminer comment fonctionneraient le CEDA et l’EEMAC après leur fusion. Nous avons commencé avec une page blanche et, après beaucoup de discussions, l’Électro-fédération du Canada (ÉFC) était née.

J’étais fier et touché de présider à la fois le conseil de l’approvisionnement et de la distribution et, par la suite, le conseil électrique de l’ÉFC. L’ÉFC est exclusive à l’industrie électrique canadienne en raison de cette possibilité de regrouper fournisseurs et distributeurs dans une seule association. Nos homologues américains nous envient souvent notre chance de travailler ensemble autour d’objectifs communs.

En 2011, on m’a demandé d’assumer la responsabilité des affaires pour T&B pour l’Australasie en plus de mes fonctions d’alors chez T&B Canada. C’était une division de l’entreprise qui était peu performante et qui déclinait. Ma tâche consistait à faire de l’Australasie, une compagnie profitable et florissante et je suis heureux de dire que nous y sommes arrivés.

Beaucoup de personnes ont travaillé très fort en équipe pour redresser cette entreprise. La plus grande leçon que j’en ai tirée c’est que certaines personnes vous surprendront par leur aptitude à accomplir bien plus que ce dont vous les auriez cru capables malgré des circonstances difficiles.

Je peux aussi dire que je suis fier d’avoir encadré, guidé et parrainé beaucoup de personnes durant ma carrière. J’ai eu le plaisir de les voir relever des défis, surmonter des obstacles et voir leur propre carrière réussir.

Que voyez-vous comme les grands défis à venir pour notre industrie?

Ce que je vois prévois pour l’industrie alors que je me prépare à prendre ma retraite après 37 magnifiques années? À court terme, je suis préoccupé par les progrès des relations avec notre voisin du sud. Nous travaillons si étroitement avec nos homologues des États-Unis et l’incertitude qui prévaut n’offre pas les conditions commerciales optimales. Je m’inquiète aussi de l’afflux de produits étrangers et pas seulement des contrefaçons, mais des produits de qualité avec un bon rapport coût-efficacité. Nous devons être ingénieux, progressistes et être des leaders en termes d’innovation et de compétitivité pour maintenir notre base manufacturière canadienne. Si nous continuons de voir cette base s’éroder, le marché pour nos produits et, par conséquent, les emplois s’éroderont aussi.

Tout en protégeant notre base, nous devons rayonner mondialement et nous assurer de nous enligner étroitement sur ce qui se passe ailleurs dans le monde. Les décisions déterminant les activités au Canada (i.e. les spécifications techniques pour la construction des nouvelles installations industrielles) sont souvent prises ailleurs qu’au Canada contrairement à ce qui se passait il y a quelques décennies alors que les consultants canadiens décidaient de notre sort.

À plus long terme, l’industrie devra impérativement trouver la meilleure approche pour travailler avec la génération du millénaire et les générations qui suivront. Ils interprètent le monde différemment de notre génération – je le sais car j’ai deux garçons qui travaillent maintenant. Une journée de travail de 9 à 5 n’est peut-être pas ce qu’ils attendent de leur carrière. Pour réussir, les employeurs doivent trouver des moyens pour motiver la nouvelle main-d’œuvre et offrir des défis intéressants afin d’attirer le talent dont l’industrie électrique canadienne a besoin pour aller de l’avant. Aujourd’hui, nous sommes fascinés par les pratiques et les bénéfices accordés aux employés de Facebook ou Google. Ces pratiques pourraient très bien devenir courantes dans toutes les industries dans un court laps de temps.

Notre offre aux acheteurs a commencé à évoluer et continuera de le faire à un rythme croissant. Les produits deviennent plus intelligents et communiquent en tant que parties d’un système avec l’internet des objets. Plus de clients seront attirés par des solutions et non plus par de simples produits. Nous devons nous préparer à offrir ces solutions et avoir le personnel de vente ayant les aptitudes pour parler la langue des clients. Ça exigera certainement une mise à jour des compétences de certains employés de nos équipes de ventes et nos équipes techniques.

Les interactions entre les manufacturiers et leurs partenaires de distribution devront évoluer aussi. Les transactions seront totalement automatisées. Nos partenaires de distribution devront fournir de plus en plus de solutions basées sur les efforts de vente de leurs clients. Pour la vente de produits, les sites web, la logistique et la livraison devront être aussi efficaces sinon meilleurs que ce qui est offert par les détaillants en ligne afin de concurrencer avec les Amazon de ce monde. J’imagine le jour où les distributeurs ne stockeront plus les items D et E, mais les fabriqueront plutôt avec une imprimante 3D installée dans leur entrepôt. Au lieu d’expédier un produit en réponse à un bon d’achat, un manufacturier enverra une clé électronique pour autoriser le logiciel d’imprimerie 3D à le fabriquer.

Quelles ont été les sources d’inspiration dans votre carrière ?

D’abord et avant tout, ce sont les gens. L’industrie électrique est un milieu de travail idéal regroupant de nombreuses personnes intelligentes, motivées, innovatrices et inspirantes. J’ai trouvé mon inspiration chez ces personnes et essayé d’apprendre autant que possible de ces mentors, dont beaucoup sont devenues aujourd’hui des vedettes dans l’industrie. Les gens avec qui j’ai travaillé et qui ont travaillé pour moi ont été aussi d’importants facteurs de motivation. J’ai appris autant de mes pairs que de mes subordonnés et j’ai trouvé spécialement encourageant de voir des personnes que je dirigeais dans mon équipe, assumer de nouveaux défis, surmonter des obstacles et réussir.

En deuxième lieu, il y avait les défis continuels d’une industrie en évolution. J’ai adoré accepter de nombreuses responsabilités, chacune ayant ses enjeux propres, et travailler avec mes équipes pour atteindre des résultats positifs.

Finalement, il y avait ma famille, spécialement mon épouse Karen, qui fut ma plus grande alliée tout au long de ma carrière.

Comment réconciliez-vous une position si exigeante avec la nécessité de toujours être informé des percées technologiques, des nouveaux modèles d’affaires et la formidable vie familiale que nous vous connaissons ?

Pendant que ma carrière progressait, j’ai réalisé que je pouvais me tenir au fait des changements en lisant les magazines de l’industrie et, plus tard, en faisant des recherches sur internet. J’ai constaté que le réseautage était le moyen le plus efficace d’amasser des connaissances. J’ai eu la chance de compter sur de nombreux conseillers et mentors (trop nombreux pour les nommer tous) qui furent tellement généreux de leur temps et de leur savoir. En retour, je me suis efforcé de transmettre ce que je pouvais aux prochaines générations de leaders de l’industrie.

Cette industrie m’a assuré ainsi qu’à ma famille un mode de vie confortable et une carrière stimulante et je suis reconnaissant d’avoir été témoin de sa passionnante histoire. Les affaires étaient importantes, mais ma famille a toujours été ma priorité. Je suis privilégié d’avoir une épouse si compréhensive et deux fils matures qui comprenaient que les voyages faisaient partie intégrante de ma position et qu’il m’arrivait de rater des événements spéciaux. Malgré tout, la technologie a encore une fois démontré ses bienfaits et j’ai pu me tenir au courant des nouvelles de ma famille via téléphone, fax, courriel ou Facetime. Je me rappelle une journée où je travaillais en Australie et avoir reçu par fax le devoir de mathématique qui posait un problème à mon fils!

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