J’ai une machine à remonter le temps

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25 août 2018

Je ne plaisante pas. C’est le genre de chose qui me permet d’aller dans le futur, de regarder ce qui se passe, de revenir au présent et d’agir en fonction de ce que j’ai appris. Et avant que vous commenciez à penser que je deviens fou et à vous dire « Une machine à voyager dans le temps? Vraiment? Ce gars est officiellement fêlé! », laissez-moi vous raconter comment je me suis procuré cet incroyable appareil à voyager dans le temps.

Laissez-moi d’abord vous mettre en contexte. Pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, je travaille dans l’industrie de l’électricité à haute tension depuis près de 30 ans. Pendant une bonne partie de cette période, j’ai travaillé directement pour les services publics en électricité et, au cours des dernières années, j’ai travaillé dans le secteur de la construction et de l’ingénierie. Même si cela ne faisait pas partie du plan au milieu des années 1980, j’ai commencé ma carrière dans les services publics suite à ma formation comme professionnel en santé et sécurité.

Pour donner plus de sens à ce que vous allez lire, il est également important de comprendre que je déteste ne pas comprendre quelque chose. Je déteste vraiment ça. J’ai maintenant compris depuis longtemps que les choses que je connais seront toujours massivement éclipsées par ce que je ne connais pas, et je suis d’accord avec ça, mais ne pas comprendre quelque chose me dérange encore vraiment. Que ce soit pour bien ajuster un vélo (cyclistes, lorsque vous installez des pédales, rappelez-vous « serré à droite et moins à gauche ») ou pourquoi une plume et une brique tombent au sol à des vitesses différentes puisque l’accélération est la même (c’est bien sûr à cause de la résistance de l’air), j’aime le savoir. Quand je croise quelque chose que je ne connais pas, je me dis que je n’ai pas besoin de savoir (comme, la plupart du temps) ou de chercher à comprendre en profondeur.

D’accord, revenons à l’histoire de ma machine à voyager dans le temps. Après plusieurs années en tant gars en sécurité qui apprend, enquête, pratique, chamboule tout et en apprend encore plus, j’ai frappé un mur. Un mur au sens figuré qui frustre, mais qui n’aboutit pas en voiture accidentée. Au cours d’une journée typique, je lisais des rapports de blessures dans l’industrie qui reflétaient toutes sortes de façons de se blesser. Quelqu’un pourrait tomber de quelque chose de haut. Une autre personne pourrait se taillader la main avec un couteau, tandis qu’une troisième personne pourrait toucher quelque chose qui blesse, comme une flamme ou un fil électrique. Un autre travailleur pourrait conduire un camion qui heurte quelque chose ou quelqu’un. Après des années à passer en revue ces rapports des entreprises avec lesquelles j’ai travaillé et de plusieurs autres, il semblait que tout le monde passait ses journées à trouver de nouvelles façons de se blesser.

Les réponses à ces rapports de blessures étaient également intéressantes. Maintes et maintes fois, je lisais les recommandations afin de « créer un programme de formation » ou « établir une nouvelle politique » alors que les responsables essayaient désespérément de régler les problèmes. Puis, un autre rapport passait par mon bureau et tout était à recommencer. Tout me semblait frustrant et assez futile. Et je ne savais pas pourquoi.

Au cas où vous vous endormez en lisant les paragraphes ci-dessus, c’est le bon moment pour vous rappeler que je DÉTESTE quand je ne comprends pas quelque chose. Comme mon travail consistait en partie à comprendre ces choses, je ne pouvais pas vraiment me permettre de choisir l’option « je n’ai pas besoin de savoir » et étant donné que je n’avais que deux choix, il ne m’en restait qu’un seul. Il était temps que je plonge en profondeur.

Ceci étant dit, tout cela est bien joli en pratique, mais qu’est-ce que cela signifiait vraiment dans le cas présent? J’ai reçu une série de rapports de blessures envoyés de manière aléatoire à travers le continent, une autre série de suggestions sur la manière de rendre la vie professionnelle plus sécuritaire et une série de témoignages de personnes différentes qui ont été blessées de la même manière. Il y avait peu de sens dans tout cela. Mais, j’étais arrivé à la conclusion « profonde » et puisque mon schéma décisionnel ne comprenait pas l’option d’« abandonner lorsque l’une des deux premières options s’avère difficile », j’ai adopté la seule ligne de conduite raisonnable. J’ai fermé les yeux, me suis pris la tête entre les mains et me suis dit en soupirant « Qu’est-ce que je vais faire?! ».

Aucune réponse n’est apparue comme par magie. J’ai quitté le bureau et pris le chemin du retour à la maison, toujours sans avoir aucune idée où tout cela me mènerait. Finalement, j’ai décidé qu’il n’y avait pas d’autre solution. J’étais sur le point d’accepter qu’il n’y avait tout simplement rien à faire. En fait, j’avais l’impression qu’on me retirait un énorme poids des épaules. Je me suis même senti légèrement apaisé.

Bien sûr, cela n’a pas duré. Pris dans un trafic sans fin, une pensée a commencé à germer. C’était d’abord comme de minuscules ondulations dans l’eau, puis cela s’est transformé en une petite vague. Elle était floue au début, avec quelques mots qui rebondissaient comme des ballons d’eau sur une trampoline. Aucune forme ou substance réelle, juste le mouvement et le sentiment que quelque chose était là. Comme la mise au point d’un télescope pour raffiner l’image, j’ai oublié le trafic autour de moi (une transparence totale : c’est toujours une très mauvaise idée) et j’ai commencé à scruter mentalement ce qui devenait rapidement une pensée à part entière. En quelques minutes, tout est devenu clair pour moi. Le visage de mon ancien professeur de statistiques est apparu dans mon champ de vision intérieur comme Harry Potter lorsqu’il entrait dans une nouvelle dimension. Et puis, ses mots coulaient comme dans un rêve : « Vous avez besoin de plus de données. Si l’image n’est pas claire, vous avez besoin de plus de données ».

J’ai compris. Ce n’était pas la version bouleversante de « Luke, je suis ton père ». Mais bon, c’était un début. Je savais maintenant quoi faire, même si je ne savais toujours pas comment y arriver. Le lendemain, l’idée a mijoté et s’est transformée en plan. L’une des choses que j’ai toujours faite est d’apprendre à connaître plusieurs personnes. Si je réfléchis comme un mercenaire, c’est bon pour la carrière. Mais la vérité est plus simple : j’aime tout simplement les gens. Donc, après quelques appels téléphoniques et quelques longs vols, j’avais eu accès à des milliers de dossiers de blessures très détaillés (sans les noms et les détails personnels bien sûr), une panoplie de recommandations, des centaines de plans d’action et, surtout, des dizaines de données sur « voici le résultat une fois la mise en place du plan d’action effectuée ».

Tout cela était sur papier, donc l’effort de lire, comprendre, traduire, d’illustrer et d’interpréter était monumental. Plusieurs personnes y ont travaillé pendant des mois, mais une fois la poussière retombée, les longues journées (et nuits) en valaient la peine. Les réponses commençaient enfin à avoir un sens. Et bien que certaines d’entre elles semblaient intuitives, d’autres étaient surprenantes.

En gardant à l’esprit que je me concentrais uniquement sur les travailleurs de l’industrie de l’électricité à haute tension, voici quelques-unes des choses qui sont ressorties des données, bien qu’elles datent de quelques années. Si vous voulez connaître la meilleure façon de blesser gravement ou de tuer un monteur de ligne, faites-le travailler sur une ligne de distribution HORS TENSION. Le risque de commutation, de foudroiement, de réalimentation ou de contact par inadvertance avec une composante adjacente sous tension est élevé. Si vous cherchez à faire sérieusement du mal à un monteur de ligne de transport, assurez-vous qu’il travaille sur un circuit hors tension parallèle à un autre circuit sous tension et exposez-le à l’induction. Laissez-le tout simplement travailler en hauteur. La gravité fonctionne.

Malgré le caractère horrible que constituait l’apprentissage de ces choses, il en existait deux autres qui se sont présentées et qui constituaient sans doute des leçons encore plus importantes. Lorsque des mesures de protection vraiment efficaces ont été mises en place, elles ont fonctionné. Une très grande organisation a obtenu une réponse remarquable en mettant en place de nouvelles méthodes de travail (systèmes de gants en caoutchouc) après des années de souffrances. Et ça a fonctionné. Le taux de blessures et de décès a chuté durant les 30 ANNÉES SUIVANTES. D’autres ont fait de gros efforts pour s’assurer que les monteurs de ligne de transport soient équipés d’un équipement antichute. Même effet. Plusieurs travailleurs détestaient l’entrée en vigueur de ces nouvelles mesures. Mais cela a permis de sauver des vies.

L’autre chose (vraiment désagréable) que j’ai apprise, c’est qu’avec suffisamment de données et aucun changement (significatif), j’ai pu PRÉDIRE quand et où la prochaine blessure grave se produirait. Pas exactement, mais avec un écart d’un mois ou deux. Un joli tour de passe passe je suppose, mais en l’absence d’un véritable changement préventif percutant, c’était davantage une malédiction. Ma machine à voyager dans le temps avançait rapidement dans le futur, prédisait ce qui allait se passer et revenait dans le présent pour malheureusement en être témoin.

Heureusement, de nombreuses entreprises ont reconnu ces risques graves au cours des années et ont instauré de véritables mesures afin de prévenir les dommages. Et c’est fantastique.

Au cours des années suivantes, j’ai poursuivi la recherche et découvert les mêmes tendances au sein de nombreuses activités humaines. Tout tourne autour des gens. En l’absence de changements significatifs et conscients, nous sommes tous susceptibles de revivre les problèmes du passé. Parfois, nous souhaitons sincèrement que quelque chose soit différent, alors nous nous disons que ce sera le cas. Mais ce ne sera pas le cas. Quand nous faisons les mêmes choses dans les mêmes circonstances en essayant d’arriver au même endroit, nous obtenons bien souvent les mêmes résultats que nos prédécesseurs. Voulez-vous sortir votre adolescent du canapé ou de la drogue? Vous l’avez pointé du doigt et sermonné la dernière fois? Ça n’a pas fonctionné? Cela ne fonctionnera probablement pas la prochaine fois non plus. Vous songez à embaucher un entrepreneur qui n’a pas terminé les travaux pour d’autres? Préparez-vous à être déçu. Vous planifiez votre retraite en visant gagner à la loterie? Familiarisez-vous avec les hot-dogs et oubliez le sud de la France (sauf si vous vivez déjà là-bas bien sûr!).

Avec suffisamment de données et d’idées, je peux faire démarrer le moteur de ma machine à remonter le temps et faire un voyage dans le futur. Je peux voir ce qui va se passer, puis revenir dans le présent. Mais vous aussi. Et si vous voulez vraiment utiliser le passé comme guide pour l’avenir, je vous conseille de le faire. Parce que lorsque Einstein a (apparemment) dit : « la définition de la folie, c’est de refaire la même chose et de s’attendre à des résultats différents », il avait raison. Et personne n’en savait plus que lui sur les possibilités de voyager dans le temps.

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