Le party de Noël – Quelles sont les obligations de l’employeur?
11 décembre 2015
Marie Cousineau et Geneviève Beaudin
Nous sommes un vendredi au mois de décembre. Les employés de Troublefêteinc. sont excités, car ce soir, c’est leur party de Noël. La direction de la compagnie s’est assurée d’organiser une soirée haute en couleurs afin de remercier les membres du personnel pour leurs efforts soutenus au cours des derniers mois. Au menu : cocktail, souper et soirée dansante.
Vers 18 h, les employés arrivent au restaurant Hola qui a été réservé pour la fête. Le champagne coule déjà à flots et les collègues de travail sont manifestement très heureux.
La soirée est maintenant bien amorcée. Antoine aperçoit sa collègue Annie près du bar et décide d’aller lui parler. Depuis quelques mois, il est tombé amoureux d’elle et aimerait bien profiter de la soirée pour le lui dire. Antoine salue Annie, lui offre un verre, passe sa main autour de sa taille, puis lui tapote une fesse. Mal à l’aise, Annie rit nerveusement et fait un geste afin de se dégager du bras d’Antoine. Croyant avoir été mal compris, Antoine dit à Annie à quel point il la trouve magnifique ce soir et qu’il aimerait l’embrasser. En se penchant vers elle, il reçoit une gifle au visage.
La situation ne passe pas inaperçue et Benoît intervient pour venir en aide à sa collègue Annie. Une bousculade éclate entre Antoine et Benoît. Ce dernier pousse Antoine qui perd pied et tombe sur le bar, fracassant au passage une vitre de même que des bouteilles d’alcool et des verres à vin.
Francine, la directrice des Ressources humaines de Troublefêteinc., intervient rapidement afin de séparer les protagonistes et décide de mettre fin à la fête.
Chloé, une employée de la compagnie, offre d’aider à nettoyer les dégâts causés par la bousculade. Malheureusement, elle glisse sur le plancher couvert d’alcool et se blesse en tombant lourdement sur le sol. La blessure laisse présager une fracture de la hanche si bien que les secours sont appelés et Chloé part en ambulance en direction de l’hôpital.
La soirée est un désastre. « Que pourrait-il arriver encore? », se demande Francine. Heureusement, pense-t-elle, tout le monde est en train de quitter la fête et il ne peut plus rien arriver…
Daniel, un employé de Troublefêteinc., a hâte d’arriver chez lui. Il se rend compte qu’il a trop consommé de champagne et il a la tête qui tourne. Il sait qu’il ne devrait pas prendre sa voiture pour retourner à la maison, mais il constate rapidement qu’il n’a pas d’autres options. Le restaurant Hola est situé dans un secteur isolé qui n’est pas desservi par les transports en commun. Il tente d’appeler un taxi, sans succès (les taxis sont très sollicités les vendredis soirs de décembre en raison des nombreuxpartys de Noël). Son employeur a oublié de prévoir des navettes ou un autre moyen de transport alternatif.
Daniel prend les clés de sa voiture et se dit qu’il conduira lentement et prudemment. Malheureusement, alors qu’il se situe à un coin de rue de chez lui, Daniel évalue mal un virage à gauche et provoque une collision brutale. Daniel a de multiples fractures et le conducteur de l’autre voiture est gravement blessé également. Les deux voitures impliquées dans l’accident sont des pertes totales.
Lundi matin, Francine, directrice des Ressources humaines de Troublefêteinc., arrive au bureau.
En ouvrant son ordinateur, elle constate qu’elle a reçu les documents suivants :
• Une plainte de harcèlement déposée par Annie;
• Une lettre de mise en demeure du restaurant Hola réclamant un montant de 5 000 $ pour les dommages causés par Antoine et Benoît;
• Une réclamation pour accident de travail déposée par Chloé;
• Un courriel l’avisant de l’accident de la route dont Daniel a été victime.
Consternée, Francine se pose les quatre questions suivantes :
1. Doit-elle faire enquête relativement à la plainte de harcèlement?
Oui! Même si les faits à la base de la plainte de harcèlement déposée par Annie se sont déroulés à l’extérieur des lieux du travail et à l’extérieur des heures de travail, l’employeur devra effectuer une enquête.
Dans le cadre de son enquête, le représentant de l’employeur devra rencontrer la plaignante, Annie, la personne mise en cause, Antoine, ainsi que les témoins qui auraient pu assister à la scène (si les versions d’Annie et d’Antoine sont contradictoires).
L’objectif de l’enquête est de faire la lumière sur les événements afin de déterminer si les gestes allégués remplissent la définition de harcèlement prévu par la Loi sur les normes du travail, en l’occurrence :
• Une conduite vexatoire qui se manifeste par des comportements, des paroles ou des gestes répétés;
• Qui sont hostiles ou non désirés;
• Qui portent atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique de l’employé;
• Qui rendent le milieu de travail néfaste.
Il est maintenant établi que si les événements allégués se sont déroulés à l’extérieur des lieux de travail, mais qu’ils ont pour effet de rendre le milieu de travail néfaste, ils pourraient donner lieu à une situation de harcèlement (si les autres critères sont remplis).
En 2015, tout employeur devrait se doter d’une politique sur le harcèlement afin d’informer les employés que toute situation de harcèlement est inacceptable et d’expliquer les devoirs et obligations, de même que les droits, de chacun.
2. La réclamation pour accident de travail a-t-elle des chances d’être acceptée?
Il est peu probable que la réclamation de Chloé soit acceptée par la CSST. En effet, la Commission des lésions professionnelles (la « CLP ») a reconnu à plus d’une reprise1 que les accidents survenus lors d’un party de Noël ou en préparation de ce dernier ne sont pas couverts par la CSST, puisque nous ne sommes pas en présence d’une blessure survenue par le fait ou à l’occasion du travail. En effet, leparty de Noël étant une fête à laquelle les employés sont invités, la finalité de l’activité exercée par Chloé était donc volontaire et personnelle.
Il est toutefois important de noter que la CLP a déjà conclu qu’une salariée s’était effectivement blessée « à l’occasion de son travail », alors qu’elle participait à un jeu lors de la fête de Noël de son employeur.2 Selon les faits mis en preuve dans cette affaire, la CLP considéra que la participation des travailleurs faisait partie intégrante de leur vie professionnelle.
Dans le cas de Chloé, même si l’on considère qu’elle n’a pas été victime d’un accident de travail, elle devra tout de même vraisemblablement s’absenter du travail pour quelques jours et bénéficiera des dispositions de la Loi sur les normes du travail concernant les congés de maladie. Si l’employeur Troublefêteinc. offre des assurances collectives à ses employés, Chloé pourra, si elle remplit les conditions d’admissibilité, recevoir des prestations d’assurance invalidité.
3. La réclamation du restaurant Hola est-elle bien fondée?
Possiblement.
La responsabilité de Troublefêteinc. est susceptible d’être engagée de deux façons.
D’une part, en vertu de l’article 1463 du Code civil du Québec, un employeur peut être tenu responsable du préjudice causé par la faute de son employé dans l’exercice de ses fonctions. En l’espèce, il serait possible pour Troublefêteinc. d’argumenter que Benoit et Antoine n’agissaient pas « dans l’exercice de leurs fonctions » lorsqu’ils en sont venus aux coups lors d’une fête de Noël. De plus, même si un tribunal arrivait à la conclusion inverse, ce qui est peu probable, cette disposition duCode civil du Québec précise que l’employeur conserve néanmoins ses recours contre les employés en cause.
À notre avis, par contre, Troublefêteinc. pourrait être poursuivie par le restaurant en raison de sa responsabilité contractuelle prévue à l’article 1458 du Code civil du Québec. En s’engageant contractuellement avec le restaurant pour la tenue de son événement, Troublefêteinc. pourrait être tenue responsable des dommages, notamment matériels, causés au restaurant résultant de l’altercation entre Benoit et Antoine.
Par contre, que l’employeur soit poursuivi à titre de commettant (article 1463 C.c.Q.) ou de cocontractrant (article 1458 C.c.Q.), il aurait toujours la possibilité d’appeler en garantie les deux employés fautifs afin qu’ils soient tenus responsables, du moins en partie, des dommages causés au restaurant.
Enfin, il y aurait certes lieu de mener une enquête sur l’altercation en question en vue d’imposer une mesure disciplinaire à la ou aux personnes fautives.
4. La compagnie risque-t-elle d’être poursuivie en raison de l’accident de la route de Daniel?
Au Québec, la Loi sur l’assurance automobile prévoit un régime d’indemnisation sans égard à la faute (« no fault »), relativement au préjudice corporel subi lors d’un accident d’automobile.3
Quant au dommage matériel causé par une automobile, la Loi sur l’assurance automobile prévoit que le propriétaire de cette automobile en est tenu responsable, sauf certaines exceptions. Quant au conducteur de l’automobile, il est solidairement responsable avec le propriétaire, sauf encore une fois certaines exceptions. Si l’automobile en cause lors de l’accident est propriété de Troublefêteinc., sa responsabilité peut ainsi être engagée.
Il est donc peu probable, dans le cas présent, que Troublefêteinc. soit poursuivie et tenue responsable relativement à des dommages (physiques ou matériels) causés par l’accident de voiture de Daniel.
Quoiqu’il en soit, l’employeur qui organise une fête de Noël se doit d’agir en hôte responsable, surtout lorsqu’il s’agit de consommation d’alcool. L’employeur doit toujours garder à l’esprit ses obligations légales édictées par le Code civil du Québec, la Loi sur les normes du travail, la Charte des droits et libertés de la personne ainsi que la Loi sur la santé et la sécurité du travail et prendre les mesures appropriées pour notamment protéger la santé, la sécurité et la dignité de ses employés.
En ce sens, les employeurs sont fortement encouragés à prendre diverses mesures afin de contrôler le niveau de consommation d’alcool et s’assurer d’un retour à la maison en toute sécurité. À titre d’exemple, l’employeur peut :
• Fermer le bar quelques heures avant la fin de la fête;
• Instaurer un système de coupons pour l’alcool;
• Informer ou même offrir aux employés différentes options pour un retour sécuritaire à la maison (ex. : chauffeurs désignés, service de raccompagnement, remboursement des frais de taxis, etc.);
• Sensibiliser les employés à consommer de façon modérée, etc.
Cela étant dit, l’employeur n’est pas le seul à avoir des obligations en ce sens, et on peut souhaiter que les employés seront conscients de leurs obligations et agiront de façon responsable!
Conclusion
Bien que l’on puisse croire que l’organisation d’un party de Noël n’implique qu’un volet social, force est d’admettre que les organisateurs doivent se pencher sur plusieurs aspects touchant les obligations de l’employeur. Ayant ces obligations à l’esprit, vos efforts pour bien encadrer le déroulement de tel événement ont de bonnes chances de porter fruit.
Sur ce, nous vous souhaitons tous un party de Noël des plus… réussi!
Publié avec l’aimable permission des auteures, Marie cousineau, partenaire et Geneviève Beaudin, avocate, du Cabinet Langlois Kronström Desjardins, grand cabinet d’affaires québécois au service d’organisations et d’institutions publiques et privées, d’entreprises individuelles ou commerciales, établies au Québec, ailleurs au Canada ou à l’étranger. Cet article a d’abord été publié au lien suivant : http://www.lkd.ca/le-party-de-noel-quelles-sont-les-obligations-de-lemployeur/