Comment j’ai appris ce que signifie vraiment le leadership

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5_EIN-21-Sones-400.jpgJ’étais aux anges et enthousiaste au-delà de toute espérance. Dans mes rêves les plus fous, je n’avais jamais pensé avoir autant de chance. Je regardais le journal devant moi, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Toutes ces belles formes reliées entre elles, c’était de l’art. Mes yeux parcouraient la page de haut en bas, puis revenaient au haut de la page où ils se reposaient, subjugués par ce qu’ils voyaient. Je me sentais si heureux, si puissant, presque comme un dieu. J’avais hâte d’y aller.

Mais je vais trop vite, comme cela m’arrive parfois. Je m’en excuse. Laissez-moi revenir un peu en arrière pour vous. Cela facilitera la compréhension de l’histoire.

Au début et au milieu des années 1990, j’ai passé une demi-douzaine d’années à apprendre à connaître l’industrie dans laquelle je me trouvais et la profession que j’avais convoitée et obtenue. Être un professionnel de la sécurité et de la santé dans un service public d’électricité était fascinant et il y avait tant à apprendre. De gigantesques barrages hydroélectriques, de longues lignes de transport serpentant à travers le paysage, des lignes de distribution drapées comme des spaghettis à travers chaque ville, des compteurs et des trous d’homme, des pannes de service et des interventions d’urgence lors des tempêtes. Il y avait une tonne de choses à apprendre, alors j’ai fait de mon mieux pour tout apprendre et aussi, en quelque sorte, contribuer à la valeur de l’entreprise.

À l’automne 1996, j’ai reçu un appel d’une petite entreprise de services publics et j’ai fini par être embauché comme gestionnaire de la sécurité, une progression dans l’organisation par rapport à mon dernier emploi et comportant une autre différence très importante : trois employés sous ma responsabilité. J’avais l’impression d’avoir enfin grandi, d’être devenu l’un des membres du cercle restreint. Après un déménagement précipité, je me suis présenté au travail et le premier jour, j’ai dû rencontrer l’employé numéro un (les autres travaillaient dans des bureaux éloignés alors les présentations auraient lieu ultérieurement). En entrant dans le bureau exigu qui allait bientôt devenir le mien, j’ai serré la main de l’homme poli et j’ai essayé de briser la glace en engageant la conversation. Au cours de la discussion, j’ai remarqué l’expression étrange de son visage. Je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce qu’il ressentait, mais je pouvais dire qu’il n’était pas content.

Nous avions beaucoup de choses à discuter et à voir en détails. L’entreprise avait connu deux tragiques incidents mortels en six semaines et quelque chose (ou les choses) devait changer. J’étais à l’écoute, en train d’assimiler, totalement concentré sur l’élaboration d’un plan de match quand, tout à coup, un sourire s’est affiché sur son visage. Confus, je l’ai regardé et bien que je n’aie rien dit, mon visage a apparemment hurlé « Qu’est-ce qu’il y a? ».

Il s’est mis à rire et s’est détendu. « Tu as l’air d’être un gars correct. Désolé, je ne savais pas à quoi m’attendre quand on m’a dit que tu avais accepté le poste ici, on m’a juste dit que tu avais une formation en sécurité. Je ne suis qu’électricien » a-t-il ajouté, en s’excusant presque. Debout, il s’est dirigé derrière moi pour aller fermer la porte. Super, me suis-je dit, le premier jour et je l’ai déjà contrarié. La porte s’est refermée. Il s’est tourné vers moi et m’a dit avec un petit sourire : « Je dois te montrer ça. » Il m’a pointé une photocopie d’une illustration collée à l’arrière de la porte et montrant trois hommes debouts dans un bureau. L’un disait à l’autre : « C’est le nouveau. Apprenez-lui tout ce que vous savez, puis ramassez vos affaires ». Il m’a regardé et a ri, bien que son regard n’exprimât pas la gaieté. Il avait l’air mélancolique. 

« Je voulais ce poste, alors vous comprenez », a-t-il dit. « Mais on m’a dit que je n’étais pas qualifié. » Il a cessé de parler et a affiché un visage sans expression. « De toute façon, tu es là maintenant, alors ça va ». C’est sur ces paroles que la conversation a pris fin et il a quitté le bureau.

Ces premières heures et ces premiers jours m’avaient donné matière à réfléchir. Le nouveau poste de gestion devait me propulser vers de nouveaux sommets et cette force nouvelle me permettrait de partir en croisade pour la cause. En gros, une équipe de sécurité du SWAT. Je m’étais imaginé portant une cape blanche et en train de résoudre de graves problèmes. Pour être honnête, je n’avais pas imaginé les employés comme des personnes avec de réelles aspirations qui pourraient diverger des miennes. Je les avais imaginés comme des robots sans visage, prêts et disposés à faire ce que je leur demandais. Et ce fut la première d’une série de leçons importantes qui ont teinté mon parcours.

Moi compris, les quatre personnes qui formaient notre équipe étaient très différentes par leur expérience, leur formation, leur tempérament et leurs perspectives, mais nous étions tous passionnés par l’idée d’améliorer les choses. Donc, malgré nos différences, nous nous sommes attelés à la tâche et avons travaillé avec le reste de l’équipe de direction pour effectuer les changements qui étaient devenus évidents et nécessaires. La gestion des problèmes techniques a été gratifiante et les défis à surmonter ne manquaient pas. Des litiges à résoudre. Des soumissions réglementaires à produire. Des instructions procédurales à rédiger et beaucoup de formation à dispenser aux employés. Mais nous y sommes arrivés. Ça faisait du bien.

Environ trois ans plus tard, j’étais dans le feu de l’action quand j’ai reçu une demande d’un des directeurs principaux pour discuter. Je ne savais pas à propos de quoi, j’étais donc mitigé. Le petit diable sur mon épaule m’a fait un clin d’œil et m’a dit : « Tu vas te faire virer! » Heureusement, l’alter ego angélique était la voix de la raison et m’a calmement suggéré que puisque j’avais de bonnes relations avec le directeur en question, la rencontre pourrait être une bonne chose. J’ai choisi de suivre ce conseil. 

En fin de compte, il s’agissait d’une offre d’emploi de niveau supérieur avec un impact potentiel plus important que les fonctions que j’occupais à l’époque. Le processus pour arriver à l’étape finale a été assez rapide et sans heurts et je fus enchanté du résultat. J’étais maintenant sur la VÉRITABLE voie du succès. Ils m’ont remis l’organigramme organisationnel avec mon nom en haut, gestionnaire des opérations de transport et de distribution, et maintenant plus d’un quart des effectifs de l’entreprise seraient sous ma responsabilité.

Étape suivante : relisez le premier paragraphe de cette chronique. 

Je vous laisse quelques minutes. Prenez votre temps. Je vais attendre.

D’accord, on continue.

Le nouvel emploi en poche, j’ai téléphoné un ami qui avait exprimé un vif intérêt pour les fonctions que je quittais. C’était aussi un professionnel de la sécurité qui avait fait ses études dans le monde des services publics et je me suis dit qu’il conviendrait bien pour ce poste. Avec une confiance renouvelée, je lui ai fait savoir qu’il me remplacerait. Il était ravi et nous avons parlé des tâches qu’il devrait accomplir comme gestionnaire. J’ai raccroché, heureux qu’il accepte le poste et lui planifiait déjà sa démission de ses fonctions actuelles.

Cependant, ce n’est pas ce qui s’est passé. Sur ma vague d’enthousiasme et croyant que le monde m’appartenait, j’avais fait l’erreur fondamentale de donner quelque chose qui ne m’appartenait pas. Quelques jours plus tard, on a annoncé que quelqu’un d’autre, quelqu’un de l’extérieur, serait le nouveau gestionnaire de la sécurité. Dès que j’ai appris la nouvelle, j’ai repensé à l’appel téléphonique tenu quelques jours auparavant. Comment allais-je annoncer la nouvelle à mon ami? Qu’allais-je lui dire? Comment le prendrait-il?

Après avoir repoussé l’inévitable (et peu enviable) appel téléphonique que j’avais à faire, après avoir regretté de ne pas pouvoir tenir ce qui constituait une promesse, j’ai lentement décroché le téléphone et j’ai composé son numéro.

Cela ne s’est pas bien passé. Pas du tout. Dire qu’il était déçu serait un euphémisme flagrant. Sa confusion s’est vite transformée en colère et ce qu’il a vu comme une occasion manquée, représentait pour moi une amitié perdue et c’était entièrement de ma faute. La honte s’est emparée de moi. J’ai fait de mon mieux pour oublier tout cela, mais ma confiance a été ébranlée. D’accord, erreur de débutant me suis-je dit. Passe à autre chose. J’ai mis mes sentiments de côté, pensant qu’ils allaient disparaître.

Quelques jours après la première semaine du nouveau millénaire, rassuré par le fait que la menace de l’an 2000 était disparue, je me suis retrouvé devant un grand nombre de personnes que j’allais maintenant gérer. Il s’agissait pour la plupart de professionnels, dont certains avaient plus d’années d’expérience que moi. Afin de préparer le terrain, j’ai prononcé quelques mots qui, je l’espérais, allaient nous inspirer face à ce que nous allions réaliser au cours de la prochaine décennie, mais malgré mon désir ardent d’être félicité et applaudi, il ne s’est rien passé. Ils étaient sceptiques quant au fait que je sois le responsable. Je n’étais pas l’un d’eux et cela m’a été rappelé à plusieurs reprises au cours des années qui ont suivi, toujours à mon grand regret.

Cela m’a probablement pris deux ans en poste avant de réaliser ce qu’était vraiment le travail, et comme c’est souvent le cas, la leçon m’a été donnée lors d’une conversation informelle avec un collègue plus âgé qui était beaucoup plus sage que moi. Je me plaignais du fait que je passais le plus clair de mon temps à traiter les problèmes des gens, je me plaignais et je donnais plusieurs exemples. D’un naturel calme, il m’a laissé fulminer, puis, au moment opportun, il est intervenu.

« Keith, combien de poteaux as-tu installés ce mois-ci? » 

« Nous? Je ne sais pas, mais je dirais plusieurs. »

« Non » a-t-il répondu, « je veux dire toi personnellement ».

« Moi? Eh bien… aucun ».

« Combien de kilomètres de câble as-tu suspendus? Combien de compteurs as-tu changés? Combien de phases as-tu équilibrées? »

« Aucun », lui ai-je répondu, en me redressant. « Où veux-tu en venir? »

« Le fait est que ce n’est pas du tout ton travail de faire tout ça. C’est de faire place nette pour que ces gars qui viennent travailler tous les jours puissent faire ce travail. Ton travail consiste à résoudre leurs problèmes pour qu’ils puissent faire leur travail ». Il a fait une pause. « Donc, si tu résous ces problèmes, tu fais ce qu’il faut. Si tu crois que tu as signé autre chose, tu n’as rien compris dès le départ ».

Les leçons de vie les plus difficiles, les meilleures et les plus durables font souvent l’effet d’un coup de poing au ventre. Ce fut pareil. Même si j’ai essayé de le nier, je savais qu’il avait raison. J’ai immédiatement repensé au jour où, dans ma cuisine, j’ai regardé la liste des noms et des titres sous ma responsabilité en pensant que je serais un roi. Je caressais mon ego et je ne voyais pas la réalité en face. Anéanti, j’ai compris à ce moment-là ce qu’était réellement le fait d’avoir des employés sous sa responsabilité et à quel point j’avais échoué.

Cet événement a incontestablement changé ma vie. J’ai enfin écouté ce que le monde me disait. 

Au cours des années suivantes, mon parcours professionnel s’est diversifié. J’ai eu plusieurs fois l’honneur de diriger d’autres équipes; certaines étaient composées de centaines de personnes, d’autres étaient très petites. J’ai embauché des gens, j’en ai congédié d’autres et j’ai passé d’innombrables heures à réfléchir à la façon d’améliorer les choses pour les personnes et les entreprises avec lesquelles j’ai travaillé. Comment je pourrais arriver le mieux possible à « faire place nette » et à éliminer les obstacles pour que d’autres puissent s’épanouir. Certains de mes anciens collègues ne pensent que du bien de moi tandis que d’autres sont… moins charitables. Je reconnais maintenant que la gestion et le leadership sont un privilège, et non un point d’ancrage. Je ne publierai pas d’ouvrages sur la façon d’être un meilleur dirigeant, car des milliers de personnes avant moi ont écrit de nombreux volumes sur le sujet. Je me contenterai de partager quelques réflexions personnelles.

Les dirigeants que j’admire sont ceux qui se soucient des gens et des entreprises pour lesquelles ils travaillent. Ils se soucient sincèrement de ce qu’ils font. J’en ai vu plusieurs au fil des ans qui, comme moi, ont laissé le pouvoir leur monter à la tête. S’ils en tirent rapidement des leçons et s’ils changent, ils connaissent généralement un succès énorme. D’autres laissent leur ego dicter leur comportement, en gérant de manière vindicative et ils ont tendance à tomber rapidement dans l’oubli lorsque leurs collègues voient les dommages qu’ils causent à l’entreprise et aux relations nécessaires pour assurer la prospérité. Il y a quelques années, j’ai rencontré un jeune contremaître qui, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait pris cette décision stupide selon nous, m’a répondu « parce que je le peux ». Il n’a pas fait long feu. Personne ne veut faire partie d’une équipe perdante et personne n’aime alimenter un égocentrique incompétent.

De nos jours, un excellent leadership est plus que jamais nécessaire. Nous vivons dans l’incertitude et la crainte absolue et les gens veulent savoir qu’il y a une direction, un sens qui découle du chaos. Une orientation bienveillante est nécessaire à tous les niveaux. 

Serez-vous cette personne? Votre titre n’a pas d’importance lorsqu’il s’agit de diriger. Vous pouvez être directeur ou ingénieur, monteur de lignes ou charpentier, administrateur ou comptable, cadre ou chauffeur de camion. Votre sphère d’influence peut être plus ou moins grande par rapport à celle de votre voisin, mais votre capacité à instaurer l’ordre, le calme, l’orientation et le confort viendra de l’intérieur. Aucun titre ne peut vous conférer cette capacité et personne ne peut vous l’enlever. Alors, ne soyez pas comme moi. Débarrassez-vous de votre ego et faites courageusement ce qui est juste.

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