Une première leçon

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5_EIN-21-Sones-400.jpgKeith Sones

Je paniquais. Je venais à peine de débuter et je perdais mon emploi. Je tirais la couverture au-dessus de ma tête et tentais de trouver une solution. Quelques minutes plus tard, j’avais la réponse. Je ne leur dirais rien.

Le début des années 1980 était très différent de ce que nous vivons aujourd’hui. Contrairement à des taux d’intérêts plus faibles que jamais, les investisseurs se ruaient vers des obligations à 20% de taux de rendement tandis que les propriétaires luttaient contre des taux hypothécaires similaires. C’était difficile pour de nombreuses industries car le taux d’emprunt était vraiment trop élevé. Beaucoup d’entre elles avaient arrêté les recrutements ou avaient fermé.

Une année après mon entrée à l’université, j’avais envoyé des centaines de C.V. à la recherche d’un boulot d’été et j’avais eu la chance de trouver un poste dans la maintenance d’un établissement scolaire. Ce n’était pas le travail le plus épanouissant : couper l’herbe des terrains de jeu, approvisionner les établissements scolaires en papier pour se préparer au retour inévitable des étudiants et professeurs… Mais c’était mieux que rien. L’année précédente, je n’avais pas trouvé de travail et j’avais fini par aller frapper à la porte des docteurs et avocats (en me disant qu’ils avaient de l’argent) à la recherche de petits boulots. Alors, tondre la pelouse et faire de l’aménagement paysager pour un vrai salaire était une progression.

Afin d’améliorer mes compétences et d’augmenter mes chances, j’avais passé l’examen de véhicules lourds et j’étais très fier de mon permis. C’est comme si cette compétence légale de me mettre au volant d’un camion à benne ou d’un tracteur routier venait de certifier mon passage à l’âge adulte. Les gamins peuvent conduire une auto, mais moi j’étais le roi de la route.

Ce permis était aussi un avantage pour mon superviseur puisque je pouvais déplacer moi-même les équipements d’aménagement paysager au sein de la région. A 19 ans, un camion à benne, une grande remorque et un tracteur à chargement frontal m’ont été assigné. C’était l’équipement nécessaire pour déplacer des amas de terre lors des rénovations des cours d’école.

Afin d’utiliser cet équipement de façon sécuritaire, il ne suffisait pas de tourner la clé et d’y aller. Il fallait comprendre le système de freinage, le changement de vitesse en pente, et s’assurer que le tracteur ne tombe pas de la remorque. Donc, mon chef Danny m’avait tout expliqué. “Rappelle-toi”, dit-il. “Tu dois détacher la remorque et ôter le crochet avant de lever la caisse sinon tu vas abimer le crochet” criait-il à la manière de la vieille école. J’acquiesçais avec confiance. ‘Allons”, pensais-je, “pense-t-il que je suis stupide?’ Nous terminions les vérifications du camion et de la remorque et il était l’heure d’y aller. J’avais terminé toutes les inspections et je démarrais enfin le moteur. Alors que je m’engageais dans le trafic, du haut de mon siège surplombant les conducteurs d’auto, je chantais “King of the Road”, une chanson populaire des années 1960. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire.

Une fois arrivé à destination, je déchargeais le tracteur et me mettais au travail. Après une longue journée de travail à réarranger des amas de terre et les aplatir pour en faire un espace vert, je remballais mes affaires pour retourner à l’atelier. Fatigué mais heureux après mon premier jour en tant que conducteur de camion, je m’endormais avec un sentiment d’accomplissement.

Ce travail se répéta durant le restant de la semaine: charger l’équipement, conduire vers le site, déplacer la terre et retourner à la maison. Le vendredi, j’avais hâte de me reposer mais étant arrivé tard à l’atelier, je m’étais dépêché de ranger. J’ai ôter le tracteur de la remorque, garé la remorque, et levé la caisse pour en sortir la terre, histoire d’avoir un camion propre pour lundi.

Alors que le système hydraulique levait la caisse de plus en plus haut, le grincement métallique m’écorcha les oreilles tel un boxeur frappant mon ventre. Horrifié, j’ai lâché le levier de contrôle et immédiatement descendu la caisse en espérant que tout soit correct. Je me suis baissé pour inspecter les dégâts et j’ai constaté que le crochet était tordu et affaissé. Mon cœur s’est mis à battre très fort alors que je me remémorais en boucle aux instructions de Danny il y a quelques jours.  

En panique, j’ai ôté le crochet mutilé et l’ai posé sur la remorque, puis j’ai garé le camion contre la clôture à l’abri des regards. Il y avait seulement quelques personnes dans la cour, alors j’ai pris mon vélo et je suis rentré chez moi. ‘Tout ira bien’ me dis-je, pas vraiment convaincu que cela arrive mais je me permettais d’être quelques instants dans ce monde des pensées irrationnelles où la magie opére.

Nous sommes donc lundi matin et je tirais la couverture par-dessus ma tête et décidais que je ne dirais rien. J’essayais de me convaincre moi-même et peut-être que personne ne remarquerais rien.

Dans la cafeteria durant le rituel du lundi matin lors duquel les collègues racontent leurs exploits de la fin de semaine, j’étais nerveux et silencieux. Danny rigolait à l’écoute de ces anecdotes: le ferrage des chevaux, les courses dans la boue et les gueules de bois du dimanche étaient les faits marquants. Tout semblait normal, je pouvais commencer à me détendre. L’horloge sonna à sept heures, l’heure de démarrer et tout le monde se rendait à son poste. Je suivais, en pensant que mon erreur ne sera peut-être pas remarquée.

“Keith!”, la voix résonna dans tout le couloir. Je me suis arrêté net, mon cœur battait la chamade. En me tournant, j’ai vu le chef du département, les mains sur les hanches et le regard de travers. “Viens avec moi”, ordonna-t-il. Résigné, je marchais lentement derrière lui vers le terrain de stationnement. Danny marchait derrière moi.

Le chef se rendait directement vers le camion à benne, je savais que j’étais découvert. J’étais sur le point de me faire réprimander et surement licencié. Je continuais de marcher lentement, surement pour essayer de gagner quelques secondes de plus en tant qu’employé. Je voyais le chef debout devant le camion, pieds écartés, bras croisés. Je m’arrêtais devant lui.

Il n’a pas perdu de temps. “Charlie devait utiliser le camion à benne vendredi soir et n’a pas pu attacher la remorque car le crochet est cassé. Le châssis du camion est aussi tordu, j’ai dû le ramener à l’atelier durant la fin de semaine. Cela m’a couté cinq mille dollars.” Il fit une pause en me regardant. “Ne sois pas aussi stupide la prochaine fois.” Avec cela, il retourna à l’atelier. Je restais debout là, en état de choc, ne sachant pas quoi dire. Je n’étais pas licencié? Cela pouvait-il encore se produire? Danny brisa la glace en s’asseyant à côté de moi. “Ecoute, ce n’est pas ton jour. Ça arrive ces choses-là, personne n’est parfait. Mais n’essaies pas de la cacher. Tu aurais dû me le dire quand c’est arrivé vendredi et on l’aurait réparé sans que Charlie n’ai à gâcher sa fin de semaine. Maintenant retourne au boulot.”

Il s’en alla en me laissant à ma tâche et j’avais toujours un travail. De façon bien plus méthodique qu’avant, je vérifiais le camion réparé et son crochet, j’inspectais l’équipement et me rendais sur le site de travail. J’étais fou d’avoir pu croire que personne ne remarquerait rien, que mon chef ne saurait pas que c’était moi qui avait utilisé le camion en dernier. J’avais mérité les réprimandes du chef et bien plus. Je ne pouvais pas réparer mon erreur mais je pouvais m’assurer que cela n’arrive plus. Et si quelque chose venait à arriver, comme l’a dit Danny, j’irais en parler tout de suite.

Depuis, j’ai essayé, avec quelques erreurs, de me comporter de cette façon. Je ne suis certainement pas un ange (“Hey mon amour, dit lui que je ne suis pas à la maison” tandis que ma femme décroche le téléphone), mais je connais la valeur des mots de Danny.

J’ai eu la chance d’avoir des mentors dans ma vie et ils ont tendance à se présenter à moi quand j’en ai le plus besoin. Certains d’entre eux, comme mon grand-père, ont été très importants dans ma vie. Parmi ses sages paroles, sa maxime “Ton droit de lancer ton poing s’arrête là où commence mon visage” m’a aidé à prendre en compte autrui : je peux faire ce dont j’ai envie mais je dois y réfléchir à deux fois car cela pourrait impacter quelqu’un d’autre. D’autres m’ont donné des bons conseils quand j’en avais besoin et je ne les ai plus jamais revus. Comme ce type que j’ai rencontré brièvement dans un bar et qui m’a dit: “Quel est l’intérêt de sortir de ta maison à $200,000 et de prendre ta voiture à $50,000 pour te rendre à un travail que tu déteste?” (Note: Ce conseil date des années 1980 donc ajustez les prix). Peu de temps après, je prenais la décision de retourner à l’école.

Les avantages de l’honnêteté sont aussi clairs que les dégâts causés par les mensonges et omissions. Comme vous tous, j’ai vu le courage en action. Une employée était toujours en retard car elle avait un jeune enfant et avait besoin de ce travail. Le chef a eu une conversation sincère avec elle pour lui dire qu’elle n’était pas apte à ce travail mais a réussi à lui trouver un poste qui lui convenait mieux. Et inversement, j’ai vu une personne obtenir un poste avec un bon salaire pour lequel il a quitté son emploi actuel. Tout cela pour être informé par la suite que le salaire serait plus bas que prévu. Une personne fait preuve d’honnêteté et prend des mesures nécessaires tandis que l’autre n’a pas le courage de dire la vérité à un futur employé. Il va sans dire que la première employée est toujours dans l’entreprise tandis que le deuxième a trouvé mieux.

Au risque d’être un stéréotype qui dit “c’était mieux avant”, je vous laisse juste avec cela. Notre personne est définie par nos actions, la façon dont nous traitons les gens et dont nous réagissons face à nos erreurs. Si vous pensez que personne ne vous regarde, détrompez-vous. Vous êtes sans cesse observé, évalué, jugé. Que vous soyez une célébrité ou une personne lambda, la seule différence est la taille du jury. C’est à vous de choisir ce qu’ils vont voir. Alors posez-vous la question.

Que vont-ils voir et de quoi se souviendront-ils?

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