Tirez les conclusions : le système énergétique neutre en carbone sera fortement interconnecté
Dans cette perspective, Alexandre Oudalov, directeur de l’initiative Power Systems of the Future chez Hitachi ABB Power Grids, soutient que les réseaux électriques interconnectés sont les véritables catalyseurs du système énergétique neutre en carbone du futur. C’est grâce à la technologie intelligente de ces «vaisseaux sanguins» du monde de l’énergie propre que nous pouvons atteindre notre ambition: acheminer efficacement de grandes quantités d’électricité renouvelable pour alimenter les transports, les industries et les bâtiments du monde entier.
Fournir de l’énergie renouvelable là où elle est nécessaire
Les gouvernements du monde entier sont confrontés à un défi monumental : une augmentation massive de la capacité de production d’énergie renouvelable sera nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques juridiquement contraignants. Comment distribuer cette énorme vague d’électricité essentiellement variable là où elle est nécessaire en temps opportun, efficacement et de manière fiable?
La réponse réside dans les réseaux électriques mondiaux.
Pour progresser dans la réduction des émissions de dioxyde de carbone du système énergétique mondial, nous devons aller plus loin pour accéder aux meilleures ressources d’énergie verte, qui sont souvent situées dans des endroits reculés.
Les progrès de la technologie de transport d’électricité nous permettront de connecter les sources d’énergie renouvelables de la plus haute qualité aux consommateurs finaux – du rayonnement solaire du désert aux vents arctiques; des rivières puissantes aux océans lointains.
Les réseaux électriques du futur devront être capables de relier de manière flexible les fuseaux horaires, les climats et les saisons.
La connexion d’est en ouest comble le décalage entre la demande de pointe et les temps de production solaire, tandis que la liaison entre le nord et le sud nous permettra d’équilibrer les profils variables de demande d’électricité des saisons chaudes et froides ou sombres et claires.
Accroître la capacité des interconnexions existantes et ajouter de nouvelles connexions pour relier les réseaux électriques isolés et les sources d’énergies renouvelables lointaines offrira un large éventail de valeurs sociales, environnementales et économiques
Alors, comment ce «pontage» sera-t-il possible?
Deux ou plusieurs systèmes d’alimentation peuvent être interconnectés et fonctionner de manière synchrone – à la même fréquence, en utilisant des lignes de transmission de courant alternatif haute tension ou de manière asynchrone, en conservant leurs propres fréquences, en utilisant des stations de conversion et des lignes de transmission de courant continu à haute tension.
L’avantage des systèmes électriques interconnectés de manière synchrone est qu’ils peuvent rester stables tout en intégrant des centrales électriques de l’ordre du gigawatt. La mise à l’échelle et la mise en commun des unités de production se traduisent par une réduction des coûts de production. Le partage des réserves dans une zone synchrone réduit le coût d’exploitation du système.
Les lignes de transmission de courant alternatif haute tension sont généralement un choix privilégié pour des distances courtes de quelques centaines de kilomètres et lors de l’interconnexion de réseaux électriques possédant des fréquences compatibles. De plus longues distances de transmission de courant alternatif demeurent possibles; cependant, elles nécessitent une compensation spéciale de puissance réactive qui la rend plus coûteuse.
L’élargissement d’un système interconnecté de manière synchrone augmente sa complexité, sa vulnérabilité et son coût. C’est là que la technologie CC entre en scène et aide à surmonter les limites fondamentales de l’utilisation de la technologie CA pour:
- transmission à longue portée d’électricité via les lignes aériennes;
- connexions sous-marines à courte et moyenne portée entre les pays, les îles et les sources d’énergie extracôtières;
- connexion de régions avec des fréquences incompatibles.
Maximiser la puissance de l’interconnexion
La technologie de transmission de courant continu est utilisée depuis des décennies pour la livraison efficace d’électricité en vrac sur de longues distances et pour l’interconnexion de réseaux asynchrones fonctionnant à différentes fréquences via des stations de conversion réciproques ou des câbles sous-marins.Cette technologie a profité à des millions de consommateurs à travers le monde.
L’innovation technologique dans les vannes et les processeurs pour les systèmes de commande a débloqué des possibilités presque illimitées de gestion des réseaux électriques comportant une part élevée de sources renouvelables, une inertie plus faible et des variations d’injection plus importantes que jamais.
La véritable puissance des interconnexions à courant continu est démontrée lors de la fourniture de divers services dynamiques de support de réseau pour améliorer la stabilité et la résilience du système.
De plus, des interconnecteurs à courant continu entièrement contrôlables et flexibles peuvent limiter efficacement les courants de court-circuit et aider à rétablir l’alimentation électrique après des pannes de courant à l’échelle du système.
L’interconnexion Caprivi Link, qui relie les réseaux d’électricité de la Namibie et de la Zambie, est un excellent exemple d’une combinaison efficace d’échange d’électricité dans la vaste région de l’Afrique australe et de la stabilisation de réseaux électriques CA fragiles. La ligne aérienne de 950 kilomètres assure une capacité de transfert d’énergie fiable entre les régions de l’est et de l’ouest du bassin électrique d’Afrique australe et la technologie CC à haute tension basée sur les convertisseurs de source de tension aide à stabiliser ces réseaux fragiles et à éviter les pannes d’électricité en cas d’urgence.
Quels sont les principaux avantages du contrôle dynamique du courant continu haute tension?
Grâce à un contrôle rapide et indépendant de la puissance de sortie active et réactive des stations de conversion CC à haute tension, on remarque les trois principaux avantages suivants:
1. Régulation de fréquence effectuée par la commande de puissance de secours via les caractéristiques de statisme et l’émulation de la réponse inertielle pour compenser les grands déséquilibres de puissance généralement causés par la perte inattendue de grandes unités de production énergétique;
2. Contrôle de tension amélioré par modulation rapide de la puissance réactive pendant et après les défaillances pour stabiliser le système et aider à empêcher l’effondrement de la tension en limitant le transfert de puissance active pour augmenter l’alimentation de puissance réactive;
3. Amortissement des oscillations électromécaniques des rotors dans les générateurs synchrones pour maintenir une limite de transfert de puissance sécuritaire dans le système CA.
Le rêve de la connection: des réseaux électriques plus unifiés
L’utilisation optimale des ressources énergétiques vertes du monde par le raccordement et la multiplication des interconnexions régionales fait du rêve de réseaux électriques plus unifiés une réalité. La circulation efficace des électrons générés dans des endroits venteux, humides ou ensoleillés vers les points chauds urbains permet d’économiser de l’argent sur les coûts de carburant, sur la création de capacités de pointe et sur le partage des réserves. Cela réduit également le coût des émissions de carbone et des autres déchets de combustibles fossiles. Oui, les investissements initiaux sont élevés, mais notre analyse a montré que les avantages à long terme l’emportent largement sur les exigences de capital.
L’Europe est un exemple marquant de ce parcours et l’Union européenne a, depuis sa création, œuvré à la création d’un réseau électrique européen intégré. Il a débuté au début des années 50 avec pour objectif principal d’optimiser la capacité de réserve nécessaire, de connecter les ressources hydroélectriques dans les Alpes et de faciliter les échanges d’électricité transfrontaliers.
L’invention de la technologie CC à haute tension a donné aux ingénieurs un outil puissant pour accomplir des tâches auparavant impossibles telles que la connexion des réseaux électriques asynchrones du Royaume-Uni et des pays nordiques à ceux de l’Europe continentale, et des îles comme la Sardaigne et Majorque au continent avec de longs câbles sous-marins. Plusieurs stations de conversion CC consécutives ont permis des échanges d’énergie avec des réseaux électriques asynchrones aux extrémités orientales du système européen.
L’Europe fournit également un excellent exemple de mise en œuvre de politiques vertes au-delà des frontières nationales pour accélérer la transition vers un système énergétique neutre en carbone – ce qui, avouons-le, n’est pas une tâche facile étant donné le niveau d’émissions que nous connaissons aujourd’hui.
Le passage de sources d’énergie fossiles pour la production électrique aux nouvelles énergies renouvelables et l’électrification massive de l’utilisation finale de l’énergie dans des secteurs tels que les transports, l’industrie et les bâtiments (par exemple le chauffage) dépendent fortement de réseaux électriques plus solides et plus flexibles.
L’interconnexion va de pair avec des concepts de stockage flexibles. Il permet aux utilisateurs de tirer parti de la gamme complète des technologies de stockage disponibles mises en œuvre dans tout le système – allant des batteries pour le stockage d’énergie à court terme au pompage de l’eau pour le stockage d’énergie hydroélectrique en volume plus important et à plus long terme. L’interconnexion complète en particulier ce dernier type de stockage, car ce sont des installations qu’on ne peut construire n’importe où.
Historiquement, on se servait de ces interconnexions pour intégrer des centrales hydroélectriques distantes mais, au cours de la dernière décennie, l’accent s’est étendu vers une intégration transparente de nouvelles énergies renouvelables, telles que l’énergie éolienne et solaire. Le nombre d’interconnexions a considérablement augmenté au cours des 20 dernières années, principalement en raison du besoin croissant d’intégration des énergies renouvelables et de la croissance des échanges d’électricité.
Aujourd’hui, le réseau électrique européen gère déjà des parts élevées d’énergies renouvelables variées qui, sur certaines heures sélectionnées, peuvent atteindre un pic de près de 50% de la production totale et rester au-dessus de 30% de la production totale pendant 2100 heures par an. (Source: Plateforme de transparence des données ENTSO-E). L’intensité la plus élevée est de février à mars. Certains pays ont même réussi à fonctionner à l’énergie renouvelable pure pendant plusieurs jours, profitant de conditions météorologiques et éoliennes très favorables et d’une interconnexion étendue avec le reste du système européen.
Cependant, les capacités de transport et la flexibilité du réseau nécessitent des investissements supplémentaires pour atteindre les objectifs ambitieux, et éventuellement fonctionner entièrement à l’énergie renouvelable à tout moment.
Les dernières recommandations indiquent que les États membres européens devraient garantir d’ici 2030 une capacité d’interconnexion transfrontalière équivalente à 15% de la demande de pointe ou de la capacité totale de production d’énergie renouvelable variable, en fonction de celle qui est la plus élevée des deux, afin d’éviter toute réduction significative de la production éolienne et solaire tout en maintenant la qualité et la continuité de l’approvisionnement électrique.
Aujourd’hui, ce pourcentage varie fortement entre les pays européens. Le Danemark, dont la capacité de transport transfrontalier est plus ou moins égale à sa demande, est un cas exceptionnel, qui met en évidence les avantages d’un réseau électrique fortement connecté. Lorsqu’il y a une production d’énergie éolienne excédentaire au Danemark – elle peut parfois atteindre 150 à 160% de la demande locale – elle exporte le surplus d’électricité via des câbles sous-marins et des lignes aériennes vers ses voisins. Les consommateurs norvégiens, par exemple, peuvent utiliser l’électricité verte danoise tandis que la production nationale norvégienne est stockée dans des réserves hydroélectriques. Lorsque l’approvisionnement en énergie domestique danois est insuffisant, les consommateurs reçoivent de l’hydroélectricité norvégienne.
La récente mise sous tension du projet NordLink, une interconnexion en courant continu longue de 623 km reliant les marchés de l’électricité allemand et norvégien, permet l’intégration des énergies renouvelables des deux pays. Cette connexion fournit au réseau électrique allemand un accès fiable aux ressources hydroélectriques de Norvège et à la Norvège un accès à la base substantielle d’énergie renouvelable de l’Allemagne, en particulier aux ressources d’énergie éolienne et solaire.
Ce sont d’excellents exemples de partenariats durables opérant dans les deux sens, qui sont rendus possibles par un réseau de transport solide et flexible.
D’ici 2050, toute la gamme des types de connexion sera nécessaire pour établir des connexions en Europe et avec d’autres continents – de l’éolien extracôtier domestique aux énergies renouvelables distantes en passant par des stations de conversion réciproques, des câbles sous-marins longue distance et des lignes aériennes.
Nous devons accélérer le processus visant à rendre les réseaux régionaux plus flexibles, contrôlables et résilients, en intégrant des liaisons CC à haute tension dans les réseaux CA existants.
Lorsqu’ils sont placés à des points stratégiques, ils permettront une exploitation plus stable et plus efficace des actifs existants et une utilisation optimale de la croissance rapide des ressources énergétiques réparties sur le territoire. La connexion des îles, des plates-formes de forage maritime et des grappes éoliennes en mer via un réseau CC hautement fiable et efficace est une autre étape importante vers un approvisionnement énergétique durable.
Techniquement parlant – et au-delà de l’Europe – un réseau électrique mondial est également réalisable. La dernière technologie nous permet de transmettre des gigawatts d’électricité propre sur une large gamme de distances de manière efficace et fiable.
À l’avenir, un système électrique européen véritablement intégré et interconnecté pourrait utiliser des interconnexions longue distance pour exploiter des ressources renouvelables éloignées à grande échelle – l’énergie solaire du Sahara et du Moyen-Orient, les ressources hydroélectriques de l’Afrique subsaharienne et les vents intenses du Régions de l’Asie centrale et de l’Arctique. Et à un moment donné, les réseaux électriques de la Chine et de l’Inde pourraient même être connectés à ceux de l’Europe.
Un saut quantique
Doubler la part mondiale de l’électricité de 20 à 40% de la consommation d’énergie finale et augmenter la part des énergies renouvelables de 27% à 75-85% de la production totale d’électricité au cours des 30 prochaines années nécessite un considérable bond en avant.
Un système énergétique neutre en carbone nous oblige à relier bien des projets, y compris:
- des sources d’énergie propre locales et éloignées;
- des installations de stockage d’énergie diurne et saisonnier;
- plus de mobilité électrifiée et de charges de chauffage; et
- des sites où l’électricité renouvelable excédentaire pourra être convertie en combustibles propres pour des applications où l’électrification directe est techniquement ou économiquement impossible.
Un niveau élevé d’interconnexion permettra à la société d’échanger et d’utiliser l’énergie propre aux plus hauts niveaux d’efficacité, de résilience et de fiabilité.
Afin d’accélérer la transition vers un système énergétique neutre en carbone, il est essentiel que les fondations en soient posées dès maintenant – en particulier les interconnexions à courte, moyenne et longue distance. La technologie a fait ses preuves, mais la confiance est également nécessaire pour construire ces liens transfrontaliers. Le moment est venu pour une collaboration plus approfondie entre les régulateurs et les décideurs. La combinaison de la technologie et de la confiance permettra aux pays d’atteindre leurs objectifs de carboneutralité.