Les tâches importantes sont difficiles à faire

31-Jan-2022

Keith Sones

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J’avais environ 12 ans quand j’ai fait le truc le plus exigeant de ma vie sur le plan physique. De toute ma vie, jusqu’à ce jour. C’était il y a 45 ans et rien de ce que j’ai fait depuis n’a été plus difficile. J’ai escaladé des montagnes, participé à des triathlons et à des ultramarathons, alors je considère que la barre est relativement haute.

La ferme de mon oncle, où je travaillais cet été-là, avait connu une longue période de sécheresse. Il n’avait pas plu depuis quelques semaines et les cultures, la forêt adjacente et le sol lui-même étaient desséchés. On m’avait confié les travaux agricoles habituels, comme tailler des piquets de clôture dans un saule rouge, faire tournoyer sans fin un andaineur attelé au petit tracteur Ford et donner un coup de main de mon mieux.

Un après-midi, je dinais à la petite ferme quand mon oncle m’a demandé de prendre une pelle et de me rendre dans l’un des champs voisins. Perplexe, j’ai demandé ce que j’allais faire. Il m’a regardé et d’un air sinistre m’a répondu par deux mots. « Feu de tourbe », a-t-il déclaré solennellement.

Ces mots ne signifiaient rien pour moi. « C’est quoi un feu de tourbe? » ai-je innocemment demandé.

« Il y a un incendie souterrain. Tu dois creuser une tranchée tout autour pour éviter qu’il ne se propage », a-t-il répondu.

« Un incendie souterrain? » me suis-je dit. Je m’imaginais une caverne ou un trou dans le sol avec un tas de bois qui avait pris feu, des flammes dansantes, et je devais creuser un trou autour de… quoi? Je ne comprenais pas.

Mon oncle a lu la confusion sur mon visage. « Tu vas voir », a-t-il dit. « Ça brûle, ça ne se propage pas très vite. Ce n’est pas comme un incendie normal. Creuse simplement une tranchée verticale dans la terre tout autour. Comme un fossé pour éviter qu’il ne se propage ». Il a quitté la pièce pour aller s’occuper d’autres tâches.

Ne sachant toujours pas ce que j’allais trouver ou ce que j’allais faire, j’ai fini mon repas et je suis sorti en prenant la bêche à long manche qui était posée contre le mur. Pelle en main, j’ai marché le long du chemin de terre qui menait au champ en question.

Dans mon esprit, j’étais encore certain que j’allais trouver un feu, un truc avec des flammes. La réalité était tout autre. Après avoir traversé le bosquet de peupliers et d’épinettes, j’ai aperçu le champ. Il n’y avait aucun incendie en vue.

Mais il y avait de la fumée. De petites volutes ici et là, certaines semblaient assez intenses alors que d’autres étaient petites et elles flottaient doucement dans l’air de cette fin d’été. Il n’y avait pas de délimitation claire, pas de trace de l’endroit où le « feu » avait commencé et où il se terminait. Je n’avais aucune idée comment cet incendie s’était déclenché. Était-ce un incendie spontané? La foudre peut-être, bien que cela semblait un peu tiré par les cheveux, même pour moi qui avais 12 ans. Peu importe, la cause n’avait pas d’importance.

« Par où devais-je commencer à creuser? » me suis-je demandé. Devais-je creuser là où la fumée était la plus épaisse et déterrer ce qui brûlait, cette « tourbe », et la frapper avec la pelle jusqu’à ce que le feu s’éteigne, comme pour un feu de camp? Ou était-il préférable que je m’éloigne de la fumée et que je creuse un grand cercle tout autour? Cela m’a semblé être une meilleure idée. J’ai rapidement évalué la taille du cercle nécessaire pour contourner l’incendie, j’ai choisi mon point de départ et j’ai enfoncé ma pelle dans le sol à l’aide de ma botte.

Ou du moins j’ai essayé.

La tourbe est un mélange organique de matière végétale et de terre qui se développe sur une longue période et dans des conditions particulières. Je ne vais pas vous ennuyer avec la science, mais il vous suffit de savoir que la matière végétale décomposée la rend inflammable lorsqu’elle est sèche. Autrefois, avant l’arrivée du gaz naturel et des poêles à bois, la tourbe était une source de combustible populaire pour cuisiner (parce qu’elle était disponible et que le bois ne l’était pas). La tourbe est aussi un peu spongieuse et meuble, elle n’est pas très compacte. On peut donc penser qu’elle est facile à creuser.

Détrompez-vous. Cette première tentative a été comme enfoncer la pelle dans un gros ballon d’eau indestructible ou un petit trampoline. La pelle a simplement rebondi, laissant davantage une marque au sol plutôt que de le creuser. Déçu, j’ai regardé autour de moi la fumée qui montait. Y en avait-il plus que quelques minutes auparavant? Je n’aurais pu le dire. Mais je savais que je n’avais pas progressé. J’ai regardé le sol et j’ai enfoncé la pelle une fois de plus. Elle s’est enfoncée un peu plus profondément.

Après quelques minutes, je savais quand j’avais atteint le fond de la tourbe, car le sol devenait plus dur, moins meuble. Les roches étaient un signe que j’avais creusé assez profondément. J’ai continué à creuser mon petit fossé, une pelletée à la fois. J’ai trouvé mon rythme et j’ai commencé à ressentir un peu de fierté à mesure que je progressais dans le champ mou. Mais en un instant, le sourire que j’avais sur le visage s’est effacé et la peur m’a envahi.

J’ai vu la fumée s’élever derrière moi.

Le fossé allait dans la mauvaise direction. Mon cercle n’était pas assez grand. Découragé, je me suis arrêté une minute. Je travaillais depuis une heure, je travaillais fort, et rien n’avait changé, si ce n’est qu’on voyait une petite tranchée qui TRAVERSAIT la zone d’incendie plutôt que de la contourner. Je ne pouvais pas abandonner. Mon oncle n’était pas vraiment du genre à décerner des rubans de participation. Quand une tâche devait être accomplie, elle l’était.

J’ai continué à creuser en m’apitoyant sur mon sort. Pourquoi moi? Pourquoi il ne vient pas m’aider? Ou quelqu’un d’autre. C’était difficile. Je ne finirai jamais. Et ainsi de suite. Mais pendant que je cherchais des excuses et pleurais intérieurement, mon corps était en mode pilote automatique. Enfoncer dans le sol, soulever la tourbe, quelques pelletées de plus pour que ce soit assez profond. Répéter.

J’ai continué pendant plusieurs heures. En plus d’être exigeant physiquement, c’était un travail salissant. On peut marcher sur de la tourbe qui brûle; ce n’est pas comme marcher sur des braises ardentes. Mais chaque pas libère un peu de cendre de la matière fumante qui s’élève de manière presque invisible et recouvre tout d’une pellicule noire. Mes vêtements, ma peau, mes yeux et mes poumons : tout était recouvert de suie. Mais j’ai continué.

Au crépuscule, j’étais épuisé comme je ne l’avais jamais été auparavant et, en toute honnêteté, jusqu’à aujourd’hui. Lorsqu’il a fait assez sombre pour que je ne puisse plus voir la fumée s’élever, il était inutile de continuer à l’aveuglette dans la nuit. Ma tranchée n’était pas terminée, mais je ne pouvais pas faire grand-chose de plus. Traînant la pelle derrière moi, je suis retourné à la ferme et me suis dirigé directement vers le sous-sol en béton où je me suis laissé tomber sur le petit matelas, sale et au bord de l’inconscience.

Je me suis réveillé le lendemain matin, encore étourdi. En clignant des yeux, il m’a fallu quelques minutes pour me rappeler où j’étais et pourquoi j’étais allongé sur le lit, si sale et si courbaturé. J’étais déprimé à l’idée de la tâche qui m’attendait, c’est-à-dire finir le fossé. Mais je savais qu’il n’y avait pas d’autres options, alors je me suis levé lentement et j’ai monté les escaliers.

Mon oncle était à table en train de déjeuner et sa journée était bien amorcée. Je me suis assis, attendant de me faire sermonner parce que je n’avais bien encerclé l’incendie. Je n’ai pas parlé.

« Il a plu », a-t-il dit sans sourciller. « Poteaux de clôture aujourd’hui » puis il s’est levé.

Le message était clair et j’étais ravi. Le ciel s’était suffisamment dégagé pour que le feu diminue, du moins à la satisfaction de mon oncle. En fait, j’attendais avec impatience la corvée éreintante qui consistait à abattre les saules rouges, à les tirer de la broussaille et à les couper pour en faire des poteaux de clôture. J’étais soulagé.

Les tâches importantes sont difficiles à faire. Si le fruit de mon travail et la bruine de Mère Nature n’avaient pas éteint le feu, il aurait pu se propager très loin, et endommager le sol à long terme. C’était vraiment difficile, mais il fallait le faire. S’il n’avait pas plu, il aurait fallu que je retourne dans ce champ et que je creuse dans ces conditions difficiles jusqu’à ce que le travail soit fait.

En raison de la politique mondiale et de la volonté de lutter contre le réchauffement climatique, notre société a pour mission d’électrifier le monde. Pour mettre cela en contexte, voici ce que nous devons faire. Je vais vous proposer un calcul approximatif et si je me trompe, je m’en excuse d’avance. Mais je ne suis probablement pas très loin du compte. Au fait, ne paniquez pas devant les trucs techniques et les chiffres ci-dessous. Je serai bref.

En 2019, le monde a utilisé environ 26 000 térawatts-heures d’électricité, dont près de 64 % ont été créés à partir de combustibles fossiles. Pour remplacer cette charge et atteindre des émissions nettes à zéro d’ici 2050 (le gouvernement canadien fait pression pour que ce soit plutôt en 2035) – le plan auquel de nombreux pays ont adhéré – il faut changer les choses. Pour éliminer cette source de production, le monde (c’est-à-dire nous) doit ajouter environ 190 mégawatts (MW) de production chaque jour pendant les 28 prochaines années. Cela représente suffisamment de nouvelle énergie verte pour alimenter 36 000 foyers TOUS LES JOURS. Un parc éolien de taille raisonnable produit entre 200 et 300 MW, pour vous donner une idée. Ou nous pourrions ajouter une nouvelle centrale nucléaire de 1 000 MW tous les cinq jours. Pendant 28 ans.

Mais ce n’est pas tout. Ça, c’est pour remplacer ce que nous utilisions il y a quelques années. Nous devons en rajouter beaucoup plus pour permettre l’utilisation de véhicules électriques, la conversion des bâtiments, des navires et des avions électriques, et tout ce qui sera alimenté par des électrons. Je n’ai pas encore fait de calcul, mais c’est certainement considérable. Et en ce qui concerne l’énergie solaire et l’énergie éolienne, celles-ci ont généralement besoin d’une alimentation de secours, il faut donc le rajouter à la liste.

Il reste un point important à souligner dans tout cela. Nos réseaux électriques actuels sont désuets et n’ont jamais été conçus pour une telle augmentation de charge. Nous devrons recourir à de nouvelles 

technologies et à une multitude de nouvelles lignes de transport pour acheminer l’énergie renouvelable aux utilisateurs finaux.

Les nouvelles technologies permettront-elles de simplifier tout cela? Peut-être, voire même avec un peu de chance. Devons-nous rester les bras croisés et attendre que le miracle se produise? Ce n’est probablement pas la meilleure solution.

La transformation pourrait être colossale. Mais rien de bien ne se fait sans effort. Oh, vous pensiez que tout cela pouvait se faire sans efforts. C’est carrément utopique.

Alors, tout le monde. Sortez les pelles. Au travail.

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