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Les leçons des hivers passés : offrir de la patience et une oreille attentive

Keith Sones

5-décembre-2022

Il faisait froid.   

L’hiver s’était enfin installé et la température chutait de jour en jour. L’automne avait été chaud, mais c’était fini. Ce bon vieil hiver était déjà à nos portes. 

Non seulement il faisait un froid glacial à l’extérieur, mais il faisait tout aussi froid à l’intérieur de la maison. Une fois les flammes éteintes dans la cheminée pendant notre sommeil, l’air glacial enveloppait la maison comme un manteau et se frayait un chemin à l’intérieur, se glissant à travers les fissures et remplaçant la douce sensation de chaleur par un froid glacial qui nous obligeait à mettre des chandails, des manteaux et des couvertures supplémentaires jusqu’à ce que nous nous levions et faisions à nouveau un feu au petit matin, afin de retrouver cette chaleur. 

L’utilisation du foyer au lieu d’une source de chauffage plus moderne était le résultat de diverses circonstances et de décisions personnelles. Deux changements majeurs s’étaient produits dans notre vie au cours de l’année précédente. Le premier avait été l’achat de notre première maison, une jolie maison dans un petit village sympathique au cœur de la Colombie-Britannique. Cela faisait des années que nous rêvions de trouver notre « chez nous » et nous étions ravis d’avoir enfin franchi cette étape en y emménageant un an auparavant. Nous nous sommes rapidement installés dans la communauté rurale et profitions de la vie. 

Le deuxième changement concernait notre famille, ou plus précisément le nombre de membres que comptait celle-ci. Ma femme était enceinte et attendait notre premier enfant, ce que nous souhaitions également depuis des années et la présence d’un nouveau petit être humain dans la maison était imminente. Toujours soucieuse de sa santé et de celle du bébé, elle avait quitté son emploi quelques mois plus tôt et, par conséquent, notre compte bancaire alimenté par une seule source de revenus était désormais plus modeste que ce à quoi nous étions habitués. Épargner avait pris un nouveau sens. Les repas au restaurant et les dépenses liées aux loisirs avaient été remplacés par des conserves de sauce tomate (la cueillette des tomates de champ était bon marché), des promenades en forêt et tout ce que nous pouvions nous procurer gratuitement. Ceci comprenait le bois de chauffage que je ramassais tant dans les forêts avoisinantes que sur le tas de déchets de la scierie locale.   

Ce qui nous ramène à la maison glaciale. Nous n’avions pas d’argent à jeter par les fenêtres et comme l’utilisation de notre foyer pour chauffer la maison coûtait moins cher que d’allumer la fournaise au gaz naturel, j’ai insisté pour que nous utilisions le chauffage au bois jusqu’à ce que ce dernier ne soit plus suffisant pour contrer le froid à l’extérieur. J’en avais même amélioré l’efficacité, en troquant ma bicyclette contre un ventilateur pour pousser l’air chaud du foyer vers les recoins les plus éloignés de la maison. J’étais fier de mon innovation qui nous a permis d’économiser quelques précieux dollars supplémentaires sur les frais de chauffage. 

À l’époque, je me déplaçais beaucoup pour le travail. Je parcourais environ 80 000 kilomètres par année au volant de mon camion. Il arrivait fréquemment qu’au cours d’une même journée, je doive rendre visite à des équipes de travail sur le site d’un relais hertzien au sommet d’une montagne, enquêter sur un incident survenu au sein d’un important barrage ou dispenser une formation dans une petite salle d’une ville en région éloignée. Il me semblait que j’étais constamment sur la route, ce qui signifiait également que je n’étais pas souvent à la maison. Ceci voulait aussi dire que je n’étais pas celui qui devait supporter la plupart de ces nuits froides lorsque les dernières braises de la cheminée s’éteignaient.   

Lors de mes voyages d’affaires, je recevais 28 $ par jour pour défrayer le coût de mes repas. Cependant, si j’arrivais à manger pour moins, je pouvais empocher la différence, ce qui est devenu une autre façon de bonifier nos modestes finances. Chaque semaine, ma femme préparait une glacière remplie de nourriture pour que je puisse cuisiner lorsque je n’étais pas à la maison. En général, je mangeais pour environ 15 $ par jour, alors les 13 $ supplémentaires constituaient une aide précieuse. Cependant, tandis que je préparais le dîner dans une chambre de motel bon marché chauffée, c’est ma femme qui devait apprendre à survivre dans notre demeure glaciale. 

Il est étonnant de constater à quel point il est facile de prendre une décision sur une situation qui affecte les autres lorsque vous n’avez pas à subir les mêmes conséquences. Si vous n’arrivez toujours pas à voir la scène, laissez-moi vous la décrire plus en détails. Je suis loin de chez moi 5 à 6 jours par semaine, souvent dans des régions où je suis injoignable (les téléphones portables sont loin d’être légion et même si j’en ai un, la couverture est mauvaise), j’appelle généralement une fois par jour le soir si je peux. J’ai une glacière pleine de nourriture et je prépare des repas dans un motel chaud et confortable. Pendant ce temps, ma femme enceinte est à la maison, elle me laisse partir avec une semaine d’épicerie puis s’assure qu’elle peut allumer le foyer pour rester au chaud, alors qu’elle aimerait simplement allumer la fournaise au gaz au lieu de transporter des déchets de bois dans la maison pour alimenter constamment le feu. De plus, elle se fait dire par son mari que l’utilisation d’une fournaise coûte trop cher alors que lui passe ses journées à alterner entre un camion chaud et un motel chaud. 

Nous étions en novembre cette année-là et j’avais fini par céder. « D’accord, j’ai compris, il fait froid. Allume la fournaise » ai-je dit à contrecœur, en imaginant les billets s’envoler par la cheminée. La chaleur temporaire du foyer avait donc fait place à la fournaise, plus permanente et plus fiable. Pendant quelques jours. 

Cela faisait un certain temps que les tuyaux n’avaient pas été remplis de gaz, il était donc logique de faire nettoyer la fournaise. Un type avec une brosse et un aspirateur, ce qui ne coutait pas cher, s’assurerait qu’elle était sécuritaire et fiable. À l’heure prévue, le représentant de la compagnie de gaz est arrivé et a frappé à la porte. Ma femme a ouvert et a vu un homme en uniforme se tenir là avec un compteur à la main et un air renfrogné sur le visage. Elle lui a timidement dit « Bonjour ». 

« Vous avez un problème. Mon compteur indique qu’il y a une fuite de gaz et si mon compteur trouve celle-ci à l’extérieur de votre maison, la situation est probablement très grave à l’intérieur. » Une inspection rapide de la fournaise nous a révélé la suite des mauvaises nouvelles. Un collecteur fissuré signifiait que le gaz fuyait dans la maison. Il a nettoyé ce qu’il a pu puis a accroché une étiquette « ne pas utiliser » sur la fournaise. Bye bye la chaleur, bonjour les déchets de bois. 

« Comment ça, ça va coûter presque 100 $? », ai-je grommelé au téléphone. « Eh bien, nous n’avons pas d’argent avant la prochaine paie, alors nous devrons nous servir à nouveau du foyer jusqu’à ce qu’on ait la somme nécessaire. » 

Ma femme en a eu assez. « Que veux-tu dire par “nous”? », a-t-elle demandé. « Tu n’es jamais là, donc ce que tu me dis c’est que je dois retourner dans une maison glaciale. Pas question. Je vais aller chez ma mère jusqu’à ce que ce soit réparé. » Et elle est partie. 

Vous seriez en droit de penser que je suis un crétin insensible et sans morale. En fait, vous devriez arriver à cette conclusion. Pas nécessairement parce que j’essayais d’économiser de l’argent à un moment où nous avions très peu. Mon erreur était de prendre des décisions pour elle alors que je n’avais pas à en subir les conséquences. Il était facile de m’asseoir dans ma chambre de motel bien chaude et de lui dicter comment elle devait vivre, puis de me coucher dans un lit chaud alors qu’elle devait s’allonger dans une maison sombre et froide et observer sa propre respiration. C’était vraiment une erreur de ma part.  

Nous avons fini par faire réparer la fournaise et, les années suivantes, la fournaise était allumée quand mon épouse le voulait, et non quand je disais qu’elle devait être allumée. Avec le temps, les contraintes financières ont diminué et la question du moment où il fallait chauffer la maison ne se posait plus. Cette histoire s’est donc bien terminée. 

Mais le problème est resté entier. Pour nous tous, je veux dire. La vie peut être difficile par moments, et les conditions actuelles la rendent encore plus difficile. Lorsque les gens sont obligés de décider entre payer le loyer ou acheter de la nourriture, il n’y a rien de drôle. Voir votre enfant crever de faim alors qu’un politicien vous dit que vos impôts vont augmenter et vous font comprendre à quel point cela peut être frustrant. 

Il y a énormément de problèmes, tant au niveau local que planétaire, qui figurent en tête des manchettes quotidiennes. Que faire face aux changements climatiques? La criminalité semble s’aggraver par endroits. L’inflation dévore votre portefeuille jusqu’à ce que vous n’ayez plus rien. Nous voulons être plus écologiques, mais cela fera grimper notre facture d’électricité. Que pouvons-nous faire, à quelle vitesse, où, pour qui? 

Bien que j’aie mes opinions sur bon nombre de ces questions, tout comme vous, je n’ai pas toutes les réponses. Cependant, je sais à qui nous devrions nous adresser pour les obtenir. Les gens qui sont directement concernés. Ceux qui doivent décider entre le chauffage, le loyer et la nourriture. Ceux qui savent combien il est difficile de réaliser des projets, comme de nouvelles habitations ou des centrales solaires. Les gens qui ont vu leurs proches mourir en attendant d’être opérés pour leur sauver la vie. Ils seront très heureux de vous dire ce qui est important pour eux. 

Dire aux gens ce qui est bon pour eux alors que ce n’est pas vous qui devez sauter des repas ou perdre votre maison parce que vous ne pouvez plus payer l’hypothèque ou choisir entre le chauffage et la nourriture ne sert qu’à une chose. Ça énerve les gens. Et ça les rend moins coopératifs. Donc, lorsque vous avez besoin de leur aide pour faire quelque chose, vous leur avez déjà prouvé que vous ne vous souciez pas vraiment d’eux. Pas assez en tout cas. 

Commençons donc par écouter, par comprendre leur situation, par les amener à faire partie des solutions qui tiennent compte des nombreux problèmes, des craintes et des frustrations.  Ensuite, les responsables, qu’ils soient du secteur privé ou public, au niveau local ou international, pourront proposer de meilleures solutions. 

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